Chronique

Ivann Cruz

Lignes de Fuite

Ivann Cruz (g), Peter Orins (dms) , Olivier Lautem (elec, fx), Loïc Reboursière (elec, fx)

Label / Distribution : Circum Disc

Il s’agit d’être attentif lorsqu’on pénètre dans les Lignes de Fuite d’Ivann Cruz, concentré comme il se doit dans n’importe quel univers dominé par les signes, si contradictoires soient-ils, aussi sibyllin que soit le message. L’orée dense que constitue « L’obscur aliment des signes » multiplie les écholalies inquiétantes qui paraissent danser sur les flammes de leur propre autodafé. Le guitariste qui remplace numériquement Olivier Benoit dans le Circum Grand Orchestra et anime TOC nous plonge dans un solo déconstruit où son instrument semble parfois asservi au pouvoir des sons et à la force des mots, même altérés (« Quantophrénie »).

Lignes de Fuite est une performance soliste. Comment définir autrement un exercice si intime ? Mais c’est un solo augmenté, puisque le batteur Peter Orins rejoint son compagnon de TOC sur deux morceaux et que les électroacousticiens Olivier Lautem et Loïc Reboursière se chargent des chapelets de voix intérieures qui font songer à des bouffées schizophrènes. Le travail de façonnage d’un son à la tension palpable, tel « Etat d’Urgence », est pernicieux et obsessionnel. Cela n’empêche pas le guitariste d’y trouver une sorte d’exutoire cruel et émouvant, à l’image de toutes les mises à nu.

Au jeu des comparaisons, on pourrait dire que Lignes de Fuite est le Serendipity de Cruz. Certes, rapprocher, c’est enfermer. Ce n’est pas le résultat qui compte ; il est nécessairement très différent. La démarche est néanmoins la même, radicale et pesée avec beaucoup de minutie. Pour les deux membres successifs du collectif Muzzix, il convient d’aider la guitare à sortir de sa psyché jazz/blues/rock pour en faire une ressource abstraite, sensible et largement vivante. On retrouvera également ce paradigme dans l’Empty Orchestra de Peter Orins. Benoit actait la transformation par des convulsions nerveuses entrecoupées de rares instants ataraxiques ; Cruz est plus avare de gestes, cherche davantage l’espace et la disparition progressive du son coutumier des cordes. Une aphasie de timbres, qui met en perspective un propos aride et singulier.