Christian Pruvost au Petit Faucheux
Christian Pruvost présente Flumunda, une pièce qui joue les sons d’une rivière.
Fulumunda Christian Pruvost, photo Rémi Angéli
Membre actif du collectif Muzzix installé à Lille depuis de nombreuses années, le trompettiste Christian Pruvost, que l’on connaît notamment pour sa participation active à la formation franco-nipponne Kaze, réunit un septet pour interpréter une composition au long cours. Flumunda, jouée au Petit Faucheux ce mercredi 25 septembre, a été l’occasion d’une immersion dans un monde fluide où l’eau était au centre des images convoquées.
- Christian Pruvost, photo Rémi Angéli
Reprise de saison pour la salle tourangelle toujours avide de diversité artistique. Après une soirée d’ouverture ayant donné à entendre le trio Jean-Baptiste Réhault / Cédric Piromalli / Samy Chapuis pour une relecture du jazz des années 40 et 50, c’est ce soir-là une proposition sans doute étrange pour certaines sensibilités, mais qui trouve sa pleine dimension sur scène.
À l’origine de ce projet, le trompettiste Christian Pruvost, à l’occasion d’une résidence voici trois ans au Vivat d’Armentières, sur la Lys, rivière du nord de la France qui prend sa source près de Fruges et finit sa course dans l’Escaut à Gand en Belgique. Il enregistre des sons, interroge des gens sur leur rapport à la rivière et fait de ce matériau un paysage qu’il va intégrer à une partition semi-dirigée interprétée par sept musiciens.
L’eau qui coule et les sons ont des similitudes. En mouvement constant, traversés par des courants multiples, variables dans leurs débit ou leur tempo, leur passage est aussi sous nos yeux et dans nos oreilles, la condition de leur vitalité.
Flumunda joue de ces perceptions. Dans une première partie, elle arrête le temps qui ne s’écoule plus. Comme lorsqu’on plonge sous la surface et que, découvrant ce monde aquatique, il nous semble qu’il est là d’un seul bloc figé, les musiciens tirent une longue note continue qui se nuance de variations infimes saisissant l’oreille. On écoute des friselis d’eau qui s’échappent, des chants d’oiseaux sur la rive ou dans les arbres qui surplombent la rivière ; rien ne se passe qui ne soit pleinement apaisant.
Un flux captivant, bancal et consonant, entrecoupé de ponctuations qui ferment un cycle et en ouvrent un nouveau.
Peu à peu pourtant, la pièce s’anime, des voix interviennent, nous parlent de ce qu’est la culture d’une rivière, comment les humains l’appréhendent, comment elle change sous les assauts des perturbations climatiques. L’orchestre s’ébroue, prend vie et comme une embarcation nous emporte.
Deux voix, celles de Maryline Pruvost et de Xuan Mai Dang, se superposent, récitent et/ou chantent un texte de Thomas Suel, poète performeur nordiste. On attrape des mots dans ce débordement sonore, quelques phrases qu’on reconstruit mentalement puis qui, aussitôt, nous échappent. Elles construisent un flux captivant, bancal et consonant, entrecoupé de ponctuations qui ferment un cycle et en ouvrent un nouveau. Tout se mélange, on ne sait plus où donner de l’oreille au cœur de cette musique électro-acoustique qui nous transporte plus loin encore grâce aux textes qui, d’abord prosaïques, se font lyriques (sur les enthousiasmants Odes à notamment), rebondissant avec légèreté souvent, et même humour, sur les échos ou dialogues de chacun·e des musicien·nes (Sakina Abdou, Jérémie Ternoy, Ivann Cruz, Barbara Dang, Xuan Mai Dang, Peter Orins)
Sollicitant la sensualité autant qu’une intellectualité mesurée, la force de cette pièce (qui aurait mérité, il est vrai, un peu plus de concision) est de nous donner à entendre une musique non pas bêtement illustrative mais bien similaire à l’objet qu’elle se propose de dépeindre. Elle est également un message supplémentaire (combien seront nécessaires ?) sur l’impératif de protéger notre environnement et, pour ce faire, de repenser notre rapport à ce bien fondamental qu’est l’eau.
À la suite du concert dans le hall du Petit Faucheux, une rencontre était d’ailleurs possible avec un membre du Polau (Pôle des Arts Urbains), installé à Tours, qui a pour but d’entrecroiser le scientifique et l’artistique pour élargir notre vision du monde et nous dégager d’un anthropocentrisme aujourd’hui dangereux. Le Polau participe à la création des Parlements de Loire dont le fait saillant est la constitution de la Loire comme personnalité juridique à part entière, ce qui permettra au fleuve de se défendre en droit. Un outil indispensable, un autre rapport au fleuve. Ce genre de soirée donne à écouter autant qu’à entendre.