
Jacqueline Kerrod & Joe Morris
Morpeth Contemporary 2024
Jacqueline Kerrod (hp), Joe Morris (g)
Label / Distribution : Relative Pitch
Joe Morris est sans doute le musicien qui se distingue le plus, dans les pages de Citizen Jazz, par la diversité des instruments avec lesquels il apparaît. Parfois c’est la contrebasse, plus rarement la batterie, souvent la guitare. C’est avec la harpiste Jacquie Kerrod qu’on le retrouve à son agrès de prédilection pour une rencontre improvisée autour des cordes frappées, pincées et préparées de toutes sortes de façon. La Sud-Africaine n’est pas non plus une inconnue : si elle nous avait d’abord charmés avec Anthony Braxton, on l’avait entendue en solo, et il y a quelques mois en duo avec Taylor Ho Bynum. Tenante d’un jeu très étendu à la harpe, on la retrouve dans une galerie d’art moderne du New Jersey, Morpeth Contemporary pour un dialogue très ouvert avec Morris.
« Jangling Travelers », le premier et plus long morceau de ce disque, est une conversation ou la guitare se fait d’abord aventureuse puis se lance dans une course de vitesse où la vélocité de la harpe ne se laisse pas distancer ; la harpe abandonne son décorum chambriste pour se lancer dans des arguties volubiles, débordant la guitare par des frappes puissantes qui font trembler la harpe. Un exutoire, comme une vague qui submergerait les cordes. Face à elle, la guitare conserve un calme placide qui tourne autour d’une pulsation légère. Peu après, « Mirror Dance » développe la problématique recherchée par le duo : la vibration commune des cordes résonne en sympathie. Ce qui est intéressant, c’est que les timbres se confondent comme deux ombres dans une glace sans tain. Chaque fibre et chaque boyau fusionnent dans un quasi-silence, avant de jouer de nouveau avec fougue, la harpe cette fois-ci rythmant le propos.
L’échange entre Kerrod et Morris est bien différent de celui qu’elle avait mené avec Ho Bynum. Il y a ici comme une fraternité tendue sur un cadre de bois, quelque chose qui tient du jeu simple et enfantin, qui galope sans se poser de questions et qui prend parfois plaisir à se jouer de masques et de déviations soudaines. C’est une corde de harpe effilochée, comme un long serpent de métal, qui illustre Morpeth Contemporary 2024, paru chez Relative Pitch, beau résumé d’un disque où elles se confondent et sont à la fête, jusqu’au point de rupture.