Jacques Schwarz-Bart
Hazzan
Jacques Schwarz-Bart (ts), Grégory Privat (p), Stéphane Kerecki (b), Arnaud Dolmen (dm)
Label / Distribution : Enja Records
Ce disque est bien le présent que l’on attendait. Entre créolisation et création, le saxophoniste Jacques Schwarz-Bart livre avec Hazzan de purs moments de jazz.
Après qu’un rabbin lui eut signifié que son jeu instrumental s’apparentait aux mélopées de la « hazzanout » dans la tradition liturgique juive, il a convié quelques-uns des plus doués des musiciens actuels dans une sarabande sur laquelle soufflent les alizés comme le pneuma, les vents des tropiques et le souffle divin. Avec son jeu instrumental synthétisant les plus belles pages de l’histoire du saxophone ténor, le métis judéo-caribéen joue ici son identité la plus intime, non sans une once d’humour.
Mixant des pièces du répertoire rabbinique traditionnel avec son art jazzistique, il réussit un pari osé et risqué. Osé car rendre accessible au plus grand nombre un répertoire que l’on croirait cantonné dans la sphère d’une religion relève d’une ambition des plus louables : il ne s’agit de rien de moins que de laïciser des chants présumés divins par la sainte onction du jazz ! Risqué dans la quête poétique d’un propos à même d’étreindre les esprits et les corps : cette musique envoûte et invite à la danse des neurones et des pieds. Elle est diablement funky (« Mi Shebeireach » : quel groove !).
L’ensemble porte l’empreinte d’une joute artistique entre les musiciens, dépassant l’objet même de la recherche patrimoniale. Entre le jeu alizéen de Grégory Privat dont le piano nous transporte et la rythmique éruptive de Stéphane Kerecki (la fluidité de son jeu de contrebasse atteint ici des sommets) et d’Arnaud Dolmen (ce batteur est décidément un continent de polyrythmie), les morceaux s’égrènent comme un chapelet de bonheurs. Entre le très gnaoua « Shabbat Menuka Hi » à l’entame du disque et le très rollinsien « Daienu » (pourtant un thème traditionnel judaïque) en conclusion, le saxophoniste et ses musiciens convoquent des instants d’éternité, parfois rehaussés du chanté/parlé d’un David Linx (plus que parfait sur le titre d’ouverture et sur « Ahot Ketana ») ou épicés par la trompette de Darren Barrett (impeccable de swing sur « Maoz Stour »).
L’œuvre est éminemment politique finalement, évoquant le chant des diasporas les plus marquantes de l’humanité : les exodes juif et africain, conviant leur lot de tragédies (Shoah, Traversée du Milieu), sont la toile de fond d’hymnes pour la dignité. Particulièrement significatif à cet égard est le sens de l’épure émanant du duo saxophone/batterie sur « Adon Olam » : s’il rappelle bien le couple John Coltrane/Elvin Jones, il apparaît comme le manifeste du disque. En harmonisant d’anciennes et puissantes mélodies hébraïques avec les voix de l’émancipation afro-caribéenne, Jacques Schwarz-Bart touche ici à l’universel.