Scènes

James Francies et ses éclats de couleurs

Retour sur le concert exceptionnel de James Francies au New Morning.


James Francies © DR

James Francies est un pianiste, compositeur et producteur étasunien dont le style fusionne les genres et défie les frontières, créant une identité et un univers musical versatile et polyvalent. Originaire de Houston, Texas, il s’est imposé ces dix dernières années comme l’une des figures montantes de la scène jazz internationale. Sa carrière est ponctuée de diverses collaborations avec des artistes tels que Kendrick Lamar, Lauryn Hill, Chris Potter, Robert Glasper, Taylor Eigsti, Terrace Martin ou encore Quest Love. Générateur de groove et de mélodies envoûtantes, il n’a cessé d’élargir son horizon musical avec de nouvelles textures et mélodies qui se déploient au fil de ses expérimentations sonores, orchestrales et au sein des diverses formations qu’il dirige ou rejoint. Parallèlement, il développe sa carrière solo en publiant deux albums : Flight, un disque aux mélodies oniriques, dont l’élégance harmonique annonce la nébuleuse fascinante et le dynamisme explosif de Purest Form.

James Francies se produit rarement en Europe, c’est pourquoi son concert au New Morning était une occasion à ne pas manquer. Une salle quelque peu familière pour lui puisqu’il s’agit de la première scène européenne sur laquelle il s’est produit il y a maintenant 10 ans au côté de Chris Dave & The Drumdhez. Cette fois-ci accompagné de Luca Alemanno à la contrebasse et de son fidèle ami et batteur Jeremy Dutton, le pianiste explore une setlist composée de morceaux issus de son répertoire et de nouvelles compositions qui figureront sur un album à paraître cette année.

La performance s’ouvre sur un moment suspendu de piano solo. Un format assez habituel chez James Francies, que l’on retrouve d’ailleurs tout au long du concert. Maître du storytelling, il prend le temps d’élaborer chaque paysage sonore en y intégrant textures, ornements et modulations avant d’être rejoint par une section rythmique qui vient s’imbriquer avec fluidité. Sans déranger l’oreille, Jeremy Dutton approfondit l’histoire que raconte Francies tout en lui permettant d’ouvrir son jeu et d’amplifier sa sonorité. On sent évidemment la complicité rythmique entre le batteur et le pianiste, qui se poursuivent, se retrouvent, se délaissent, se poussent et dont la complémentarité est assez phénoménale. Dans ce chassé-croisé, le contrebassiste n’est pas en reste puisqu’il préserve l’équilibre des morceaux en bornant la grille harmonique et la pulsation et ce, malgré les diverses modulations métriques qui émanent du batteur.
 Le dynamisme et l’énergie de ce dernier débordent parfois, créant des moments de tension rythmique malicieux et dirty qui font plisser le nez de plaisir. La stabilité de Luca Alemanno, quant à elle, permet une cohésion sonore, malgré les quelques éclats harmoniques qu’il s’autorise, lesquels apportent parfois une richesse polyphonique. Le pianiste, toujours réactif, saisit ces propositions pour les sublimer. Aucune note n’est superflue, chaque élément contribue à la création d’un son collectif et nécessaire au développement du storytelling.

Il y a quelque chose d’électrifiant avec ce trio. Une nonchalance qui cache une vivacité oscillant entre modération et excès

Leur performance transpire l’excellence de la Great Black Music. Avec familiarité, on y retrouve un swing des années 50 qui se mêle à un groove R’n’B des années 90 avec la subtilité lyrique d’un Chopin, d’un Debussy, d’un Ravel ou encore d’un Tchaikovsky, et la teneur rythmique du hip-hop.

Il y a quelque chose d’électrifiant avec ce trio. Une nonchalance qui cache une vivacité oscillant entre modération et excès. Une insolence à la fois séduisante et douce, qui vous tient en haleine et éveille vos sens. Tout au long du concert, un jeu de lumière tamisée accompagne les musiciens. Vacillant entre des teintes de rouge pourpre et de bleu violacé, il contribue à créer une atmosphère intimiste et chaleureuse. La performance se termine avec un arrangement de « My Favorite Things ». Un standard auquel chaque musicien de jazz a dû se confronter au moins une fois dans sa carrière. La section rythmique sort du cadre. Chaque musicien prend la parole et ouvre un espace qui sera repris par le suivant, créant ainsi un dialogue musical qui ne cesse d’enrichir les pérégrinations harmoniques d’une tension qui finit par atteindre son paroxysme entre les mains du batteur. 



Ce soir là, le New Morning est resté bouche bée face à la performance du trio. Pareil à une explosion de couleur, elle à permis au public d’expérimenter l’univers de James Francies et de découvrir la nouvelle palette d’un pianiste synesthète qui nous réserve de belles surprises pour son prochain album.