Chronique

Keith Jarrett

Munich 2016 (Live)

Keith Jarrett (p).

Label / Distribution : ECM

Le monde de la musique – et du jazz en particulier – se divise sans doute en deux camps lorsqu’il est question des concerts en solo de Keith Jarrett. Au sein du premier, on s’extasie et le mot de génie est souvent prononcé. Dans le second, il peut être question d’ennui, voire d’irritation. Ou les deux. Les manières du pianiste qualifié parfois de « diva », son intransigeance quant au silence dans les salles où il se produit tendent à en faire un sujet de discussion sans fin.

Qu’importe cette opposition, après tout, parce que le musicien est à lui seul un chapitre entier du grand roman du jazz et au-delà. Et le trio télépathique qu’il avait formé dès la fin des années 70 avec Gary Peacock et Jack DeJohnette restera, quoi qu’on en pense, l’une des plus belles aventures musicales des cinquante dernières années. Quant aux témoignages discographiques de ses performances en solitaire, elles sont suffisamment nombreuses pour donner la pleine mesure de la dimension hors normes de l’artiste. Munich 2016 est une nouvelle pierre à cet édifice et se présente comme l’une des plus belles.

Oui, qu’importent ces querelles : à l’écoute des douze mouvements qui s’enchaînent avec bonheur sur ce double CD enregistré en 2016 à la Philharmonie de Munich – dans la ville du label ECM – on reste en état d’admiration. Nous ne sommes pas en présence d’une œuvre unique et méandreuse mais bien d’une succession de thèmes qui s’enchaînent sans qu’il soit jamais question de rupture. Tout est fluide comme l’eau d’une rivière qui coule, parfois agitée de quelques tourbillons d’introspection. Il en va de même pour l’interprétation de trois standards en conclusion du concert, dont un splendide « Over The Rainbow » : même ceux-là semblent renaître sous les doigts du pianiste.

Écouter la musique de Keith Jarrett, c’est partir pour un voyage, c’est accepter de se laisser dériver avec lui au cœur du jazz, du gospel, du blues, de la musique romantique et de toutes les expériences que le pianiste a accumulées. C’est en quelque sorte fermer les yeux et s’abandonner : ils sont bien peu nombreux ceux qui sont devenus de tels guides en musique. Surtout, Keith Jarrett n’est pas ici un interprète, mais un véritable créateur (voire un re-créateur) dont le lyrisme atteint des sommets chargés d’une émotion intense. Cet homme-là est un romantique dès lors que ses mains se posent sur le clavier. Il faut juste accepter de le suivre…