Chronique

Killing Spree

Camouflage !

Matthieu Metzger (sax), Grégoire Galichet (dm) + Christiane Bopp (tb).

Label / Distribution : Klonosphère/Season of Mist

« Ça, du jazz ? Vous voulez rire ?! », avait déclaré Hugues Panassié à propos de la musique jouée par Charlie Parker. Nous pourrions reprendre cette interrogation à l’écoute du disque de Killing Spree. Parce que du jâââzz ici, bien évidemment ça n’en est pas. Pourtant, les points de conjonction sont nombreux et les gourmets les plus éclectiques trouveront de quoi élargir leurs oreilles à l’écoute du troisième disque de cette formation à la croisée des musiques libres et du métal le plus extrême qui, après deux références en trio parues chez Ayler Records, revient cette fois en duo. Et le tapage reste assourdissant.

Dans la lignée des compositions précédentes, on retrouve en effet une surcharge rythmique où la vitesse joue avec la complexité, enivrant l’oreille de signaux qu’elle n’est pas en mesure d’appréhender mais dans lesquels elle se noie avec délectation. De son côté, la voix saturée de Matthieu Metzger, plus omniprésente que jamais, incarne avec puissance un univers maléfique qui évoque bien sûr les grands groupes de cette famille d’excités.

Pourtant, c’est au saxophone que revient la palme de l’originalité et de l’efficacité. Lui aussi saturé à grands renforts de pédales, également tenu par Metzger, il parvient à trouver la force de frappe et la concision tranchante des riffs redoutables de la paire guitare/basse entendue dans le rock. On se surprend même à chercher qui joue quoi alors même qu’un seul exécutant est à la manœuvre.

Ceci étant posé, l’apport de ce nouveau programme pour cette formation qui fête peu ou prou ses dix ans d’existence tient à la variété des compositions. Au-delà du bloc monolithique qui nous assaille à la première écoute, le retour sur chacun des morceaux permet de distinguer des climats différents, rapides, lourds voire poisseux, et qui emportent l’oreille sur des chemins chaotiques.

Le tout tient ensemble grâce à une unité de ton (si ce n’est le surprenant et « enjoué » « Corrida de Muerte » qui tire un peu sur l’esthétique punk) mais également par le soin porté aux détails, plus-value de l’ensemble de la production. Ainsi, la présence sur un titre de la tromboniste Christiane Bopp ajoute une couleur cuivrée et grinçante qui n’est pas sans rappeler un Chostakovitch tatoué et grimaçant. Ailleurs, se sont des breaks inattendus, des effets de pédales sur la batterie ou un entrelacement complexe de ce tout.

Matthieu Metzger a participé à l’ONJ de Daniel Yvinec, joue avec Paul Brousseau, Louis Sclavis et une formation baroque, il joue également en duo avec la claveciniste Violaine Cochard et avec l’accordéoniste Armelle Dousset (Rhizottome). Son éclectisme est preuve d’une belle ouverture d’esprit ; alors, jazz ou pas, à votre tour de vous laisser emporter sur ces terres brûlées, vous gagnerez en énergie ce que vous perdrez en tympans.

par Nicolas Dourlhès // Publié le 6 octobre 2024
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