Chronique

The Anti Rubber Brain Factory

Ensueños Burlescos, Peligrosos y Místicos de Tierras Mexicanas

Label / Distribution : Le Fondeur de Son

Yoram Rosilio est un globe-trotter, pas de doute ; on serait même tenté, au regard de ses penchants libertaires au sein de son Anti Rubber Brain Factory (ARBF), d’utiliser le terme « internationaliste ». Il ne serait pas galvaudé. Son ARBF - puisque c’est pleinement le sien, collectivement avec ses camarades nombreux et tournants – a déjà connu les rythmiques marocaines à Essaouira avec les musiciens Hmadcha. On l’a retrouvé avec une certaine science dans le Sud des Balkans dans ce qui ressemblait à un tour de la Méditerranée par la danse et la transe, sans quitter une esthétique free rassembleuse et conductrice. Et voici la rupture, avec un départ pour les Amériques, et les plus centrales qui soient. Ensueños Burlescos, Peligrosos y Místicos de Tierras Mexicanas évoquent le Mexique, un pays dont le contrebassiste nous parlait dans son interview l’an passé à l’occasion de la sortie de Marokait. Un pays qu’il aborde davantage à la manière d’un carnet de voyage que comme vision intime et familière. Une approche plus observatrice que l’expérience méditerranéenne qui touchait à l’intime. En témoigne ce formidable « Ocosingo » bâti de collisions et de titubements... Une ivresse où le saxophone basse de Morgane Carnet [1] fait merveille pour découper la trompette caniculaire de Nicolas Souchal.

Bien sûr les recettes varient sans perdre l’élément le plus important de l’ARBF, la sensation de mouvement global, ce sentiment d’impétuosité qui s’organise grâce à une discipline collective et une vraie exubérance dans le plaisir de jouer ensemble. Dix-neuf musiciens composent cette version de l’orchestre, mais de manière morcelée, selon les pièces. Le batteur Rafael Koerner, qui a connu Rosilio dans les débuts de Ping Machine, cède par exemple sa place au grand Makoto Sato sur ce « Peyotlepec » aux vertus hallucinogènes que portent bien les cymbales du Japonais, sur un chorus de contrebasse des plus tranchants. Ici, les soufflants jouent des bribes qui se succèdent, des souvenirs qui viennent en bouffées et sautent du coq à l’âne, tel un rêve un peu étrange. On aura le même sensation dans la longue suite en trois parties « Prueba Iniciática » où Jean-Michel Couchet brille particulièrement, tout comme la guitare de Niels Mestre, remarquable fauteur de trouble. Cette version très colorée de l’ARBF aime les images fugaces et obsessionnelles. C’est le trait d’union avec les précédents albums. La transe est omniprésente dans cet orchestre qui compte aussi avec la visite de Christiane Bopp, plus que jamais à son aise dans cet attelage aylerien où l’on retrouve aussi des indéboulonnables, tels Karsten Hochapfel ou Florent Dupuit.

Le Mexique de Rosilio n’est pas un pays de cocagne, même s’il l’a fantasmé dans des compositions très ouvertes ; seul « Danza de la Culebra » est un traditionnel du pays qui rend hommage aux fanfares mexicaines. Joyeux et irrévérencieux, Ensueños Burlescos, Peligrosos y Místicos de Tierras Mexicanas est également l’occasion pour le contrebassiste d’évoquer les images mystiques du pays, les dieux vengeurs et bariolés, les produits psychotropes et les masques de cérémonie des lutteurs populaires. « Nous préférons être comme le poisson, qui s’attrape avec du travail et se mange avec prudence » nous disait Rosilio, citant un proverbe mexicain. Celui-ci est vif-argent et insaisissable. Il ne nous avait en tout cas pas autant bousculé dans nos habitudes depuis Ask The Dust. Un formidable voyage.

par Franpi Barriaux // Publié le 16 juin 2019
P.-S. :

Jérôme Fouquet (tp), Nicolas Souchal (tp), Jean-Michel Couchet (sax), Florent Dupuit (sax, fl, picc), Benoît Guenoun (sax, fl), Benoît Crauste (bar sax), Morgane Carnet (bar sax, clar), Christiane Bopp (tb), François Mellan (soub), Niels Mestre (guit), Stéphane Maurin (guit), Karsten Hochapfel (cel), Gaelle Guenver (vln), Yoram Rosilio (bs, perc, dir, arr), Florent Allirot (bs), Eric Dambrin (dms), Ananda Cherer (perc), Makoto Sato (dms), Rafael Koerner (dms)

[1Nouvelle venue, la recrue de l’ONJ trouve sa place naturelle dans cette famille.