Scènes

Les rives d’Hélary au Petit Faucheux

Skipping Shore, le quartet de Sylvaine Hélary et Christiane Bopp, au Petit Faucheux


Sylvaine Hélary, photo Michel Laborde

Artiste associée du Petit Faucheux pour la période 2020-2022, la flûtiste Sylvaine Hélary présente un nouveau quartet constitué de personnalités familières de son univers. Inévitablement, la musique s’en ressent et la soirée est réussie. D’autant plus qu’en première partie, elle a le bon goût de convier la tromboniste Christiane Bopp pour une prestation solo. Double plateau et double ration de plaisir de l’oreille.

Allons aux concerts, que diable ! c’est là que la vie loge, là que la musique se fait chair et qu’elle pénètre au plus profond des êtres. Le milieu culturel n’a, à l’heure actuelle, toujours pas repris une pleine activité, les gens sont ailleurs. Où êtes-vous ? Sortir est un acte fort parce qu’il nécessite justement l’effort de mettre le pied hors de chez soi. Sortir coûte mais paye en retour. Avec Netflix et consorts, on a accès à tout, on ne se souvient de rien, on éteint la télé, on se couche. Assister à un concert, c’est la vie entière qui remue, ce tout petit moment nous enlève à nous-même, à notre quotidien, il crée du souvenir et densifie nos existences. En plus, souvent, avant, après, on peut boire un coup.

Christiane Bopp, photo Christian Taillemite

To be Bopp

Christiane Bopp a mis en place un petit dispositif. Une chaise et quelques objets au sol ; à sa gauche, une table avec des métronomes et des diapasons. Lors d’un échange avant le concert, elle explique s’engager dans cette musique comme un randonneur qui connaît les étapes de son voyage mais se laisse surprendre par l’imprévu du moment et accueille les sensations qui en découlent.

D’abord, tout en jouant, elle agite des gourdes métalliques qui font comme des cloches rudimentaires Elle alterne les sourdines et le son plein du trombone. Confidentiel ou éclatant, elle le fait sonner avec une grande variété de profondeur, laissant deviner des harmoniques spectrales qui enrichissent le propos. Elle retrouve les chants primitifs, les mélopées lointaines. Son outil paraît complexe, il nécessite un grand souffle et un bras long, elle en fait sortir soudain une petite mélodie qui nous prend au cœur. 
Puis elle se couvre d’un bonnet et se lève. C’est drôle à voir et surtout utile. Elle cogne son crâne de laine avec les diapasons qu’elle fixe sur une planchette de bois percée. Amplifiés par le micro, ils plongent la salle entière dans une piscine d’ondes vibrantes, vibrionnantes même. Dans le même temps, sur des planches, elle fait tourner des embouchures qui roulent de manière aléatoire selon l’impulsion de sa main. Une mécanique céleste se met en place où les roulements et l’effet de bourdon crée un monde sonore unique et hypnotique, un univers éphémère avec trajectoires croisées, orbites, lignes et satellites. 

Retour ensuite au trombone et c’est à nouveau elle entière et son souffle. Fragile et forte à la fois. Sa pratique solitaire est un parcours autant qu’un portrait. Il existe un disque du solo sorti voici trois ans chez Fou Records. 

Bruno Chevillon, photo Michel Laborde

Face à la mer

Même si les musiciens qu’elle a réunis la fréquentent depuis longtemps, le quartet de Sylvaine Hélary est nouveau. Nous l’avions laissée il y a deux ans avec le pop Glowing Life dans lequel elle donnait à entendre sa voix. Le disque paru chez Ayler Record était notable, original, déconcertant. Ici le répertoire est encore frais. Sylvaine Hélary l’a écrit en ce début d’année lors d’une résidence de quelques jours avec vue sur le Golfe du Morbihan. La mer, les embruns, des îlots et voici Shore skipping. Sauts d’une rive à l’autre, sauts de la pensée qui n’accroche à rien, toujours en mouvement, saut des intervalles de notes.

Bruno Chevillon et Antonin Rayon font bloc et divisent la scène en deux. Concentrés sur leur partition, sans labeur pourtant, ils sont un socle même si le pianiste s’échappe parfois dans des interventions lumineuses. Le bassiste est aux aguets, marquant le temps d’une profondeur ronde, colorant les intentions collectives d’une frappe sur sa contrebasse ou d’un coup d’archet. Il passe la main, fait circuler le son de gauche à droite. 

Hélary et Hugues Mayot sont une unité de soufflants. Les flûtes, le saxophone, la clarinette s’enlacent, vont de pair sans unisson. Plutôt des enroulements de phrases qui engendrent des mélodies brèves. Jaillissantes comme des flammèches, elles fusent dans une profusion inextinguible. On baigne (là encore) dans une approche contemporaine, l’écriture est complexe mais pas pesante. Tout semble glisser avec limpidité. Les musiciens sont libres de suivre le naturel du flux sonore, le concert est vivant, libre, comme un souffle clair et serein.