Scènes

Hyde Park Jazz Festival contre vents et marées

Les 25 et 26 septembre, ce festival implanté dans un quartier sud de Chicago a repris des couleurs.


@ Marc Monaghan

Pas à pas, le festival qui marque la fin des activités estivales retrouve une certaine normalité. Si le cru 2020 n’avait pas été annulé, tous les concerts étaient en plein air et une scène mobile avait été introduite. Cette année, cette dernière a été abandonnée et deux représentations ont eu lieu dans le bel auditorium du Logan Center for the Arts.

Le comité d’organisation a dû surmonter de nombreuses incertitudes souvent éprouvantes pour les nerfs pour monter la manifestation, notamment en s’adaptant aux règles sanitaires. En fin de compte, avec l’aide d’une météo exceptionnelle, il peut être satisfait du résultat. Au milieu d’une programmation largement bâtie autour d’artistes locaux, on note la présence du clarinettiste Ben Goldberg venu de San Francisco, du saxophoniste ténor JD Allen auteur d’un set incendiaire au sein du double trio assemblé par Isaiah Collier, une valeur montante de Chicago, du sax alto Miguel Zenón aux côtés du batteur originaire du Pérou Juan Pastor ou de la violoniste Regina Carter qui a dévoilé son nouveau trio à cordes avec la violoncelliste Tomeka Reid et le contrebassiste Junius Paul qui sera omniprésent au cours du week-end.

Isaiah Collier @ Marc Monaghan

Les deux concerts les plus attendus sont ceux qui se tiennent au Logan Center en commençant par l’œuvre commandée par le festival, cette pratique étant devenue une tradition. Cette fois-ci, l’honneur revient au batteur Makaya McCraven. Aussi étrange que cela puisse paraître, celui-ci est muet lorsqu’il lui est demandé le titre de sa composition qui reste une énigme. Pour cette première, il s’entoure d’un sextette composé de Matt Gold à la guitare, Junius Paul à la contrebasse, Greg Ward au sax alto, Marquis Hill à la trompette et Brandee Younger à la harpe.

L’œuvre se présente comme une suite en six parties dont les principales caractéristiques sont l’absence d’ostentation et une structure lâche. Parmi les méthodes utilisées figurent l’opposition tension/relâchement, le contre-chant ou l’alternance de passages tantôt abstraits, tantôt méditatifs. La « suite » se conclut par une explosion de sons réunissant tous les musiciens. Parmi les protagonistes, Gold est celui qui tire le mieux son épingle du jeu en faisant preuve d’une formidable polyvalence. Quant à Hill, il se fait remarquer par son lyrisme et son sens du swing.

Makaya McCraven @ Marc Monaghan

L’autre pièce de résistance du festival est une nouvelle composition de Roscoe Mitchell qui aurait dû être présentée en mars 2020 et s’est retrouvée victime de la pandémie. « Last Trane to Clover Five » est une pièce d’une douzaine de minutes, écrite pour commémorer les 55 ans de l’Association for the Advancement of Creative Musicians (AACM). Elle est jouée par Ken Vandermark au saxophone baryton et le groupe de musique contemporaine Ensemble Dal Niente. Sans être d’une grande originalité, la musique évoque par moments un paysage enchanté ou une fantaisie enjouée. En d’autres occasions, les interventions éparses de chaque instrumentiste soulignent que Mitchell ne renonce en rien à l’abstrait.

D’autres œuvres sont au menu de ce concert. Les deux premières sont présentées par des membres d’Ensemble Dal Niente. La plus stimulante est « Cult of Electromagnetic Connectivity » de la flûtiste Nicole Mitchell. Elle oppose une clarinette basse et un violoncelle menaçants à une flûte et un violon porteurs d’un espoir dissimulé sous un voile mystérieux. La composition s’achève de manière abrupte avec un effet dramatique chargé de noirceur. Dominé par les percussions expertes de Kyle Flens, le « Merce and Baby » de George Lewis repose également sur les contrastes. Des textures douces succèdent à des dagues acérées et frénétiques ou une batterie tribale vient perturber une belle et triste mélodie au violon.

Ken Vandermark, pour sa part, rend hommage au légendaire saxophoniste Fred Anderson en jouant en solo au ténor trois de ses compositions. « Bernice » est une magnifique ballade qu’Anderson avait dédiée à sa femme et les phrases murmurées trouvent leur source chez Coleman Hawkins ; « The Birdhouse » est un morceau plus vigoureux aux multiples méandres et détours et « Ladies in Love » se démarque par de constants glissements d’accords. Entre les morceaux, Vandermark partage quelques anecdotes illustrant la personnalité singulière de l’ancien propriétaire du célèbre Velvet Lounge, un club qui a joué un rôle central dans la renaissance de la scène de Chicago au cours des années 90.

Yoko Noge @ Marc Monaghan

Enfin, on ne peut pas passer sous silence l’hommage rendu à Jimmy Ellis, disparu en juillet 2021. Le saxophoniste est le parfait exemple de la gloire locale totalement inconnue en dehors de son pré carré. Il lui faut d’ailleurs attendre 2016 pour sortir son premier album - il a alors 85 ans. La chanteuse Joan Collaso, qui lui doit ses débuts, tient les fonctions de maîtresse de cérémonie et conclut en interprétant « Jitterbug Waltz » de Fats Waller, le morceau préféré d’Ellis. Et il est bien dommage qu’il faille attendre de tristes circonstances pour réentendre des musiciens devenus trop rares sur la scène locale tels que l’exubérante pianiste/chanteuse de blues japonaise Yoko Noge ou George Wells et sa voix de velours.