Chronique

Lionel Martin

Solos

Lionel Martin (sax, synth, dms, elec, comp).

Label / Distribution : OUCH !

Lionel Martin fait de la résistance et ça ne date pas d’hier. Résistance à la monotonie d’une part mais aussi au conformisme du mainstream, lutte aussi pour faire vivre le disque en tant qu’objet de nécessité dans une époque peu favorable. Un combat en musique.
Le parcours de ce saxophoniste lyonnais est une célébration de la musique dans ce qu’elle a de plus profondément humain, rage incluse, il est le témoignage de sa volonté de mettre au jour les racines de ce qui le constitue comme musicien, de les cultiver et les laisser s’épanouir sans concession aucune. Ne pas se répéter et rester en éveil, explorer coûte que coûte. Ce cheminement l’a conduit par exemple à s’exprimer dans les années 2000 au sein du trio bien nommé Résistances, aux côtés de Bruno Tocanne et Benoît Keller. Plus récemment, il a partagé sa connaissance de l’avant jazz avec son complice Mario Stantchev (Jazz Before Jazz), avant de déclarer, toujours en sa compagnie (et de quelques autres), sa flamme au saxophone ténor (Madness Tenors). Avec Palm Unit, il a voulu sortir Jef Gilson de l’oubli (Chant Inca) ou au contraire rendre hommage à Henri Texier (Don’t Buy Ivory Anymore), entré quant à lui dans la légende du jazz de son vivant. Mais dans un cas comme dans l’autre, il aura accompli ce travail en étant habité par une brûlure qui caractérise le musicien libre. Cette fougue est enfin celle qui traverse l’album enregistré en duo avec Sangoma Everett pour un hommage à l’Afrique de Duke Ellington et Oliver Neslon.

Cette fois, c’est seul qu’on retrouve Lionel Martin. Enfin, pas exactement, car est-on jamais seul en compagnie de ses instruments et de tout ce que ceux-ci peuvent susciter comme présence ? Surtout lorsqu’on décide de les emmener se balader au dehors, parfois au beau milieu des gens de la vraie vie. Ici sur un pont à Goussainville, dans le métro parisien, dans un champ de la Beauce ou au bord de la Loire pour une petite baignade façon « chant mouillé ». Solos est un disque passionnant de bout en bout, qui tire un grand trait d’union entre des expériences sérielles comme celle d’Urban Sax, la musique itérative de Philip Glass ou des évocations / scansions dans lesquelles on pourrait percevoir l’écho tutélaire de John Coltrane. On est parfois tenté de parler d’une musique d’ambiance, à condition toutefois de bien faire comprendre qu’il s’agit ici d’une immersion dans le réel et pas d’un compagnonnage sans saveur. Quant au final (« La Chute »), on le sent ancré dans la trépidation du quotidien avec un beat suffocant, qui serait plutôt celui d’une dance music aux accents inquiets. De quelle chute s’agit-il donc ?

Bruits des rames, annonces vocales, un arrêt à la station Stalingrad, le murmure d’une foule sur les quais, un clapotis, des nappes sonores superposées, des percussions, le tout rehaussé d’une pointe d’électronique. Le menu est copieux et le temps fulgurant (33 minutes). On n’oubliera pas le soin apporté au contenant puisque ce 33 tours élégant, publié à la fois chez Cristal Records et chez Ouch !, le label de Lionel Martin, est habillé aux couleurs de Robert Combas. Le foisonnement graphique du peintre comme illustration d’une richesse sonore. Un autre écho.

Une musique rare, un bel objet, un saxophoniste et son propre langage : que demander de plus ?