
Machi Oul, l’underground hexagonal
Rééditions bienvenues par Souffle Continu de deux albums décisifs pour le jazz en France.
La France du début des seventies se prêtait peu à la recherche musicale, souvent synonyme de désordre pour les autorités et les âmes bien-pensantes. Quant à la sacro-sainte ORTF, elle n’ouvrait que peu d’espace à l’avant-gardisme. La détermination des musicien·ne·s bien décidé·e·s à se faire entendre trouvait un écho au sein des Maisons des Jeunes et de la Culture, il subsistait quelques clubs de jazz prêts à s’ouvrir à de nouvelles formes musicales et la fête de l’Humanité à La Courneuve permettait une fois l’an à de nouveaux groupes de se produire sur scène. Les occasions de jouer demeuraient rares, ce qui n’empêcha pas Manuel Villarroel de composer avec une certaine originalité et de réunir autour de lui un collectif musical pour le moins bouillonnant.
Les festivals français émergents mêlaient pop musique et jazz libertaire et permettaient à celles et ceux qui n’avaient pu se rendre à Amougies ou à l’Ile de Wight de découvrir des noms pour le moins exotiques, comme l’ARFI et Magma qui foulaient la scène de Malaval en 1971. C’est durant cette même année qu’est enregistré Terremoto, le disque qui révèle un nouveau groupe français, Machi Oul.
Dans ce septet, Jean-Louis Méchali tient la barre du navire par son drumming assuré, l’énergie qui circule dans « Parisonophobie » ne déverse pas un free jazz typique de ces années post soixante-huitardes, comme on pourrait s’y attendre, mais une construction musicale aboutie. Le piano de Manuel Villarroel s’adonne à un contraste entre des envolées résolument contemporaines et un raffinement subtil. « Micha » se dévoile, empreint de gravité, Sonny Grey à la trompette et William Trève au trombone apportent une pluralité de couleurs alors que Jean-François « Jef » Sicard fait preuve d’inventivité à la clarinette basse. Des cris hérités de Pharoah Sanders traversent « Thème Z » tandis que « Brack » dérive vers un swing embelli par les flûtes de Gérard Coppéré et Jef Sicard.
On retrouve ces flûtes qui apportent une identité particulière à l’album dans le bien nommé « Relaxin’ ». Le septet est guidé par les inflexions de la contrebasse de François Méchali. Les compositions dues à la plume de Manuel Villarroel n’ont pas pris trop de rides, elles affichent toujours une saveur truculente.
Changement de format avec le big band Quetzalcoatl. L’époque se prête bien à ce genre d’exercice, nos voisins nordiques sont depuis quelques années des habitués des grandes formations : le London Jazz Composers Orchestra de Barry Guy a enregistré le splendide Ode en 1972 ; quant au Globe Unity Orchestra d’Alexander von Schlippenbach, il s’affirme comme une référence avec la sortie de Live in Wuppertal en 1973.
Cet album, enregistré en 1975 par l’illustre Jef Gilson, s’équilibre entre une écriture assez classique et des improvisations délectables. Il réunit certains musiciens présents dans le septet alors que de nouvelles têtes apparaissent. Nous sommes loin de l’approche orchestrale de nos voisins européens, l’esthétique de Quetzalcoatl privilégie des improvisations perspicaces plutôt que sauvages et frontales. L’empreinte de Manuel Villarroel se caractérise par des rythmes incandescents à la différence des cadences déstructurées des Britanniques et des Allemands. Le nom de la formation et les titres des compositions, tout droit hérités des Aztèques et des divinités précolombiennes, s’accolent symboliquement aux nuances orchestrales.
Abreuvé par des rythmes latins, « Bolerito » véhicule une atmosphère décontractée, l’essence des big bands de jazz latins hérités de Dizzy Gillespie flirte avec les interventions des solistes plutôt attachés à l’air du temps, la tonalité d’ensemble demeure chaleureuse et créative. Cette composition enjouée préfigure le Onztet de Patrice Caratini, Endeka, qui aura un certain succès quelques années ensuite. Les percussions, véritable marque de fabrique de cet orchestre, s’épanouissent sous les doigts agiles d’Ana-María Villarroel, Claudio Bertoni et Patricio Villarroel. Avec les deux séquences qui composent « Leyendas de Nahuelbuta », la section de trompettes composée d’Alain Brunet et Jean-François Canape répond aux riffs des trombones d’Alphonse Leboucher et Josef Traindl, le piano se charge de réorienter la thématique avec souplesse. La matière sonore déployée dans cet album, où le chaos collectif est canalisé par les rythmes sud-américains, intègre des improvisations piquantes. La section d’anches se répand dans des solos chamarrés, Gérard Coppéré, Hugh Levick, Jean Querlier et Jef Sicard exhibent une séduisante polyvalence, les deux derniers cités se retrouveront par la suite dans l’album Ostinato du quintet de Didier Levallet. Dansante, la structure musicale de Quetzalcoatl participe à l’union parfaite entre des musicien·ne·s influencés par des cultures diversifiées.