Margaux Oswald, radicale et mouvementée
Margaux Oswald, pianiste globe-trotteuse
Margaux Oswald (D.R)
Voyageuse au fil de ses rencontres, il aura fallu quelques enregistrements de la pianiste, notamment des duos avec le trompettiste Kasper Tranberg ou encore un solo pour se rendre compte d’un talent et d’une puissance qui ne demande qu’à tout bousculer. Improvisatrice remarquable, Margaux Oswald se distingue par un jeu très percussif qui ne s’interdit pas une douceur chambriste. Une musique toujours en mouvement, qui trouve dans son septet Collateral Damage son expression idéale et prometteuse, avec des musiciens de toute l’Europe. Tout comme l’est d’ailleurs dans un trio international avec le batteur argentin Axel Filip. Rencontre avec une musicienne entière.
- Dans un précédent portrait, vous évoquiez la richesse de votre double culture française et philippine, ainsi que l’écart dans la réalité de vos deux familles, l’une issue de la classe populaire, l’autre par un grand-père ambassadeur. Est-ce que cette connaissance et cette multiplicité des codes à influencé votre façon d’aborder la musique ?
Ce que je sais, c’est que ma pratique artistique me sert d’ancrage. Je pratique beaucoup et passe beaucoup de temps face au piano à explorer et à repousser mes horizons. Dans ma routine musicale, je cherche beaucoup à ressentir et à comprendre ce que je joue. Tout apprentissage de nouveau matériel se passe très lentement et me demande un profond investissement. Je recherche l’essence de la musique avec laquelle je m’engage. De loin, cela pourrait ressembler à certaines méthodes d’acteurs comme le « method-acting » où la poursuite d’un rôle peut faire ressurgir des parties obscures de leurs personnalités. Avec la musique, je me plais à explorer des territoires qui ne sont pas directement à ma portée.
- Margaux Oswald © Herlandrer Almeida
Je m’inspire, étudie, écoute un champ large de musique et que je laisse ces objets marinés, se mouvoir et se transformer dans l’arrière-boutique. L’improvisation est une méthode idéale pour que certaines choses se manifestent au-delà de la volonté et du contrôle. En règle générale, j’ai un constant désir d’ailleurs. Je recherche l’expansion. Le mouvement, c’est la vie.
- Votre parcours s’est fait en parallèle des circuits académiques. Est-ce la raison d’une approche très brute du piano ? Y a-t-il un musicien qui vous a influencé plus que les autres ? Et en quoi ?
Tout dépend de ce qu’on entend par académie. Loin des conservatoires de jazz, oui, sans aucun doute. Ceci dit, l’avant-gardisme est à la mode dans les milieux académiques. Quelqu’un pourrait avoir le discours inverse et dire que ma pratique est tout ce qu’il y a de plus académique. Tout comme l’académie, je fais quelque chose d’obscure, d’isolé et dans une certaine mesure, suis dépendante des subventions.
Ces temps-ci : Horowitz, Maria Joao Pires, Bach et Mozart. D’octobre à janvier, j’étais dans le sud des States donc beaucoup de Carter Family, Jimmy Rodgers, de Mississippi Fred Mcdowell.
J’ai passé ma vingtaine avec Bill Evans. Les deux musiciens à qui j’ai consacré le plus d’heures d’écoute ces dernières années sont probablement Django Reinhardt et Dimi Mint Abba.
Je pratique beaucoup et passe beaucoup de temps face au piano à explorer et à repousser mes horizons.
- Vous faites partie de ces musicien·ne·s de l’ouest de l’Europe qui sont parti·e·s s’installer dans un pays nordique, d’autres font le chemin inverse. Qu’avez-vous trouvé à Copenhague qui était différent de Paris ou de Genève ? Quand vous étiez en Suisse, n’avez vous pas été attirée par la scène improvisée de Lucerne, par exemple ?
Ce sont des concours de circonstances qui m’ont amenée vers le Danemark. Il y a 6 ans, je voulais quitter la Suisse et découvrir un ailleurs et j’ai eu l’opportunité de partir à Copenhague pour mes études à la Rythmic Music Conservatory. Désormais, j’apprécie de vivre dans un endroit autre que celui où j’ai grandi. J’y trouve l’espace et la liberté dont j’ai besoin. Pour ce qui est de Paris, je suis très curieuse de voir ce qui s’y passe. C’est une scène musicale en Europe dont je ne sais pas grand-chose. J’espère y aller prochainement.
- Margaux Oswald (D.R)
- On va parler de votre septet Collateral Damage, que vous qualifiiez « d’hydre de Lerne » pouvez-vous nous le présenter ?
Mon nouveau projet Margaux Oswald Collateral Damage est un septet composé de Niklas Fite (Suède) et Hein Westgaard (Norvège) à la guitare, de Rafal Rozalski (Pologne), Aurelijus Uzameckis (Lituanie) et Uldis Vitols (Lettonie) à la contrebasse, de Simon Forchammer (Danemark) à la batterie et de moi-même au piano. Notre premier album In Time, Hollow Oaks Become Chapels sortira en juin 2024 sur CleanFeed Records.
Ce premier album, est le fruit d’un enregistrement complètement improvisé et d’un travail de post-production réalisé par Francesco Toninelli et moi-même.
Je travaille actuellement sur le matériel du prochain album qui contiendra beaucoup plus de composition.
- Il y a avec les deux guitaristes, Niklas Fite et Hein Westgaard, un paradigme très électrique, toujours sur la brèche. Quel était votre souhait en allant chercher cette sonorité ? Idem avec les trois contrebasses…
Je ne parlerai pas de souhait, mais plutôt d’une drôle de lubie. Décidément, ce n’est absolument pas pratique logistiquement, ergonomiquement ou financièrement, mais j’en suis vraiment très heureuse. Je jouais déjà avec chacun de ses membres dans diverses formations. Chacun d’entre eux me connaît bien et est à même de comprendre tacitement ce que je recherche esthétiquement ainsi qu’émotionnellement. Ce sont des musiciens à la personnalité exacerbée. Il y a quelque chose de l’ordre de l’hyperbole avec ce projet. J’aime l’excès de grave, le potentiel de la section « cordes », les guitares apportent un côté électrique. Il y a beaucoup de choses à investiguer aussi dans la duplication des instruments.
- Margaux Oswald © Jean-Michel Thiriet
- Votre orchestre est résolument européen, avec une centralité autour de la Baltique. On sait que ce sont des pays où la musique improvisée est particulièrement radicale. Est-ce une bonne définition de votre musique ? Radicale et mouvementée ?
On peut dire ça, oui.
- Est-ce qu’on peut considérer que ce septet est la formule qui vous correspond le mieux ? Que votre jeu très puissant se plaît dans la multitude ? Est-ce qu’on aura l’occasion de vous découvrir plus tard dans des formats encore plus étoffés ?
J’aime varier la formule. Je joue avec beaucoup de duos comme entre autres, ceux avec Jesper Zeuthen, Kasper Tranberg, Maria Faust. En trios avec Oswald/Uzameckis/Asheim, Haug/Oswald/Filip, Zabric/Oswald/Uzameckis, Gjerstad/Oswald/Asheim ou en quartet avec Frank Gratkowsk/Christian Weber/Michael Griener. La plupart de ces groupes sont collaboratifs et je voulais me confronter au fait de tenir les rênes entièrement. Eh oui ! J’espère pouvoir continuer avec de grands ensembles.
- Par ailleurs, on vous a entendue en duo avec le trompettiste Kasper Tranberg, on vous retrouve dans Xanthic Tales très à l’aise avec un autre trompettiste scandinave, Oscar Andreas Haug… Est-ce qu’il y a un rapport particulier entre cette instrument et votre approche du piano ? L’urgence, là encore ?
Vous êtes le premier à me faire remarquer ce lien ! Ces deux trompettistes ont sans aucun doute, une personnalité très affirmée. Je suis fascinée par l’aptitude mélodique de ces deux musiciens. Avec Oscar Andreas Haug, j’ai trouvé intéressant de trouver un équilibre entre son jeu lyrique et son timbre très « jazz scandinave » et ma façon de jouer le piano, sans doute plus abstraite.
J’espère pouvoir continuer avec de grands ensembles.
- Parlons quelques instant de Xantic Thales. Comment s’est déroulée votre rencontre avec Axel Filip, le batteur argentin ? Quelle est le genèse de ce trio ?
En premier lieu, une forte amitié que j’ai liée avec Oscar lors de notre master à la RMC. Une année plus tard, Axel, lui-même étudiant, a initié la première session en trio.
- Quels sont vos projets, après ce septet ?
Je veux enregistrer un album de compositions avec le septet. Un album sortira avec Joao Lencastre et Joao Carreiro. Quelques concerts : je jouerai à Willisau avec Jesper Zeuthen en août. Une résidence à Genève avec Albert Cirrera, John Edwards et Rodolphe Loubatière. Quelques concerts en Norvège avec Frode Gjerstadt et Ivar Asheim. J’espère également joué plus avec le quartet avec Gratkowski, Weber, Griener. Préparer la sortie d’un autre album solo aussi.