Chronique

Guilhem Flouzat Trio

A Thing Called Joe

Guilhem Flouzat (dm), Sullivan Fortner (p), Desmond White (b)

Label / Distribution : SunnySide Records

Tout a commencé avec une carte postale. Alors que le batteur Guilhem Flouzat mettait la dernière main à son album de compositions originales, « Portraits », il reçut une carte postale de son ami et quelque part « mentor » Laurent Coq, lui suggérant d’enregistrer un disque de standards avec son camarade d’études à la Manhattan School Of Music, le pianiste originaire de la Nouvelle-Orléans Sullivan Fortner (ce dernier étant désormais associé par ailleurs à Cécile McLorin-Salvant).

S’adjoignant les services du contrebassiste d’origine australienne Desmond White dont le jeu discret n’obère pas l’élégance, bien au contraire, il amène le trio au Bunker Studio pour une session d’enregistrement de dix-huit pièces dont seront retenus huit thèmes - non sans avoir au préalable concocté un dîner au cours duquel sont débattues les orientations musicales. C’est qu’entre ces trois compères règne une totale confiance, au point que les arrangements coulent de source, sans que plus de deux prises par morceau soient nécessaires.

Mais comment rendre attrayant un album de standards ? Comment sortir des sentiers battus dans un univers si balisé ? D’une part, les morceaux retenus sont rarement interprétés, oscillant entre douceur (un « Perdido » si suave qu’on en transpire d’aise, allant jusqu’à restituer sous les doigts de Fortner le chant de Sarah Vaughan dans la version qu’elle en livrait avec l’orchestre de Count Basie) et déconstruction angulaire, comme le prouve le choix d’un thème strictement instrumental de Monk (le trop rare « Oska-T » fait ici l’objet d’un traitement de déconstruction/reconstruction qui eût indubitablement reçu l’agrément du grand Thelonious). D’autre part, Flouzat s’est véritablement plongé dans l’univers des morceaux choisis, s’inspirant notamment des paroles originelles pour réaliser un disque sans voix mais avec un sens du chant sans pareil ; et l’on sait son appétence pour la littérature, exposée sur son précédent album. Il suffit, pour s’en convaincre, d’écouter son introduction sur une version renversante de « When I Fall In Love » : le beat de tom basse n’est-il pas tout simplement le battement d’un cœur amoureux ?

De fait, l’ensemble de l’album transpire l’amour du genre humain tel qu’il peut être transcendé par le jazz. Au point que le dernier titre du disque se passe de solo : les membres de ce trio sont loin de toute expression égoïste, nantis qu’ils sont, individuellement et collectivement, d’une dimension orchestrale qui les dépasse.