Chronique

Musina Ebobissé Quintet

Engrams

Musina Ebobissé (ts), Olga Amelchenko (as), Povel Widestrand (p), Igor Spallati (b), Moritz Baumgärtner (dms) + Igor Osypov (g)

Label / Distribution : Jazzdor Series

Il y a peu d’albums dont on sait qu’ils vont fédérer durablement de nombreux amateurs de jazz. Celui du quintet de Musina Ebobissé, paru sur le label Jazzdor Series, en fait partie. Dès les premiers souffles du saxophone ténor qui a fait ses classes au conservatoire de Strasbourg [1], accompagné par l’alto d’Olga Amelchenko, la certitude est là : le propos est élégant, sobre, marqué par une grammaire coltranienne qui ne s’enferre cependant pas dans la célébration (« Opium Hill », où l’on découvre également le piano très structurant du jeune Suédois Povel Widestrand). Subtil mélange entre la tradition et un esprit aventureux, Engrams coule de source. Lorsque Igor Osypov vient ajouter sur deux morceaux son électricité à la doublette rythmique solide du jeune contrebassiste transalpin Igor Spallati et du batteur allemand Moritz Baumgärtner [2], ce quintet désormais étendu vient ajouter une dimension nouvelle, marquée par d’étonnantes ramifications canterburiennes (« Class Struggle »).

Remarqué par Diane Gastellu au festival Jazzdor en 2019, l’orchestre a bien mûri durant le confinement, se débarrassant des dernières scories de l’apprentissage pour trouver un son propre, né de l’improvisation collective et travaillé avec opiniâtreté. Une solidité incarnée par le travail de l’ombre de Spirli. Avec limpidité et sérénité, deux adjectifs qui caractérisent l’ensemble de l’album, Ebobissé centre son travail sur sa proximité avec la saxophoniste russe qui crève l’écran en ce moment, en leader ou au sein du Orchid Big Band. Ainsi dans « ZIF268 », c’est l’unisson des soufflants qui offre toute liberté à Widestrand de construire un propos plus cosmique voire onirique, dont Amelchenko et Ebobissé se saisissent pour le porter à incandescence, bien aidé par un Baumgärtner impeccable. Tout semble à sa place ici, sans pour autant donner l’impression d’un sentier trop balisé.

Résolument européen, Engrams ne pouvait naître sans doute qu’à Berlin où l’Europe du jazz se croise, entre Amsterdam et Budapest. C’est là que bat le cœur de ce quintet, quand le nôtre bat la chamade. Mais il aura fallu des passionnés comme ceux de Jazzdor pour laisser aux talents le temps d’éclore. Depuis leur rencontre dans le Hans Anselm Big Band en 2018, la connivence entre les deux saxophonistes ne cesse de croître. Il y aura sans nul doute d’autres occasions pour eux de parfaire cette harmonie, mais Engrams est déjà un brillant jalon.

par Franpi Barriaux // Publié le 25 juin 2023
P.-S. :

[1Pour en savoir plus, on se reportera à l’entretien que Musina Ebobissé a accordé à Citizen Jazz.

[2On l’avait apprécié dans l’ album d’Evi Filippou, NDLR.