Octurn et Veress, d’un monde à l’autre
Octurn se réapproprie la musique du compositeur Sándor Veress.
Octurn, photo Rémi Angéli
Artiste associé du Petit Faucheux aux côtés de Léa Ciechelski, le saxophoniste baryton belge Bo van der Werf vient faire découvrir à la cité tourangelle un nouveau projet dont l’originalité est à la hauteur de la réussite. Accompagné par la formation Octurn qu’il dirige depuis trente ans au côté de fidèles compagnons, il propose à la fois de nous faire découvrir un musicien méconnu qu’il plonge, dans le même temps, dans un monde nouveau. Ce concert en changement permanent se fait pourtant dans la plus grande douceur.
Octurn est une formation curieuse. Non qu’elle soit difficile à cerner, même si elle peut dérouter par ses partis pris, mais parce qu’elle n’aime rien tant que l’investigation. Curieuse oui, car la curiosité l’anime. Quoi de plus intéressant, alors, que d’aller rencontrer l’autre ?
Octurn s’en est même fait une spécialité. Les moines bouddhistes du Monastère de Gyuto, le travail sur le gamelan avec l’ensemble Ictus ou encore la collaboration avec Malik Mezzadri constituent une feuille de route en marge des sentiers battus et donnent une idée de ce que peut être la recherche d’un langage neuf, y compris lorsqu’il se nourrit de l’ancien.
Car au Petit Faucheux, en ce soir du 11 avril, se tient au centre de la scène un trio à cordes tout ce qu’il y a de conforme dans le classique. Un violon, un alto et un violoncelle (Laure Bardet, Esther Coorevits, Eugénie Defraigne) venus interpréter, dans son intégralité, la partition Per Archi (1954), signée du compositeur hongrois Sándor Veress que peu de gens connaissent, il faut bien le dire.
Entourées par les cinq membres du groupe qui semblent veiller sur le trio avec beaucoup d’attention, les trois jeunes femmes déroulent avec nuances et précision une œuvre qui répond à ce que la musique des années 1950 pouvait proposer alors de plus novateur. Une écriture stimulante, agréablement tendue, traversée par des dynamiques contrastées et des couleurs sérielles, au long d’un répertoire pourtant éclaté.
- Dré Pallemarts, photo Rémi Angéli
Car l’audace des Belges réside bien dans le choix de présenter un programme de musique dite « contemporaine » au sein d’une salle dite de « jazz », de l’exposer comme sur un piédestal après l’avoir sorti de l’oubli et, dans le même temps, le déstructurer et y introduire leur propre esthétique.
Le public est ainsi plongé dans une alternance de cordes sensibles savoureusement surannées et d’atmosphères hyper actuelles, feutrées mais flottantes, aux effets narcoleptiques. Entre un tableau où se fend un violon fougueux et un autre où un baryton faussement plaintif chuchote des phrases avisées sur un tapis électronique nébuleux piqueté de notes de piano, on découvre des terres de contrastes qui ne s’opposent pas mais fonctionnent en parallèle ou en miroir et finissent même par devenir poreuses l’une à l’autre. Les archets ont aussi leur mot à dire dans les improvisations, la clarinette basse de Joris Roelofs, par sa droiture et le classicisme de son timbre, n’a rien à envier au violon et la batterie apporte sa part avec une pulsation désaxée .
Quand le concert s’achève, on prend conscience du moment qu’on vient de vivre. De l’inattendu, de l’inentendu aussi déroutant que captivant, qui a su nous happer et, sans violence, nous imposer sa vision.