Saveurs Jazz Festival à Segré - 4
Sixième édition du festival angevin
Michael League © Michael Parque
On l’a vu, l’atmosphère des quatrième et cinquième journées du Saveurs Jazz Festival à Segré (Maine-et-Loire) a été marquée par le brutal décès du pianiste anglais John Taylor. Néanmoins la fête s’est poursuivie, comme le souhaitait la famille de l’artiste. Nicolas Folmer puis Lucky Peterson ont enflammé la Scène du parc, le samedi. Et le dimanche le public était nombreux pour applaudir Snarky Puppy.
Samedi 18 juillet
Nicolas Folmer, Horny Tonky : le sens de la fête et du rythme
Pour Nicolas Folmer, « être artiste c’est toujours être ailleurs que là où on vous attend. » Le but est atteint avec le dernier album du trompettiste (Horny Tonky, Cristal Records / Harmonia Mundi, 2015). Le titre est un jeu de mots sur « honky tonk », qui désigne un des styles qui composent la country, ainsi que les petits bars urbains du Sud où l’on venait boire, s’amuser et danser, et sur « horns », terme englobant tous les cuivres (on passera sur le sens le plus courant du mot « horny »). La fête et le groove sont bien les deux ingrédients principaux de ce disque de fusion entre jazz, soul et funk, avec des échos rock et un zeste de reggae comme sur « Psychedelic ».
Avec le titre éponyme de l’album, le concert débute dans une atmosphère enfumée digne des honky tonks historiques, et on est tout de suite emporté par la fougue du groupe rassemblé par Folmer. La conduite du batteur Damien Schmitt est proprement infernale, et il est solidement épaulé par les cordes (Philippe Bussonnet, basse et Thomas Coeuriot, guitare). Aux claviers, Laurent Coulondre n’est pas en reste. La trompette bouchée danse avec élégance et flegme sur ce torrent impétueux, et l’on entend comme un écho de Miles.
« Walk On The Bar » commence comme une ballade au Fender Rhodes, mais l’accalmie ne dure pas et l’intense pulsation reprend vite ses droits. Nicolas Folmer s’en donne à cœur joie sur sa trompette modifiée par une pédale wah-wah, et le titre s’achève sur un solo déjanté de Coulondre à l’orgue Hammond B3 tandis que la batterie va un train d’enfer. « Kiss Kiss Bang Bang » alterne des passages tendres, un peu planants, où la batterie très légère dialogue avec la trompette bouchée d’une exquise délicatesse, et des sortes de points d’orgue déchaînés éclairés de lampes stroboscopiques.
Changement de registre avec « Off The Beaten Tracks », où la joute entre Folmer et Schmitt se situe franchement dans le registre furieux. « Jungle Rock » et « James » font aussi dans la furia sonore et le rythme trépidant, si ce n’est que le dernier comporte un remarquable solo de saxophone alto. Antoine Favennec s’élance dans le registre grinçant, puis la sonorité devient de plus en plus pleine sur un rythme qui balance et fait danser un Folmer décidément très décontracté. Philippe Bussonnet signe un solo de basse décoiffant sur ce morceau en hommage au grand James Brown. « Jungle Rock », composé pour Thomas Coeuriot, comporte comme il se doit un solo de guitare de haut vol. La pièce s’achève par une joute échevelée, très rock, à l’issue de laquelle Damien Schmitt, fort en verve, fait voler ses baguettes !
On reprendrait volontiers de ce cocktail survitaminé aux multiples ingrédients épicés et colorés, mais il faut laisser le plateau à Lucky Peterson. C’est un public heureux et détendu qui quitte paresseusement la salle.
- Lucky Peterson © Jean-François Picaut
Lucky Peterson : comment enflammer un public
Avant l’entrée en scène du maître, son groupe entièrement blanc chauffe la salle avec une soul très musclée, sous la houlette du guitariste qui lance ses premiers riffs incandescents. Il chante aussi mais ne parvient pas à extraire sa voix du magma en fusion qui l’entoure.
L’arrivée de Lucky Peterson, loquace et multipliant les clins d’œil au public, ne change rien à l’atmosphère - au contraire, serait-on tenté de dire. Passage absolument débridé à l’orgue Hammond B3, magistrale et ludique intro à l’orgue… Puis arrivent les décibels. D’une pièce dansante, au cours de laquelle Lucky Peterson invite avec insistance le public à marquer le rythme, émerge surtout le drive puissant de la batterie.
On a tout juste le temps de souffler avec une ballade lente aux accents soul introduite au piano, et déjà Lucky Peterson s’empare de sa guitare. Enchaînement sur un rock puissamment charpenté, puis il descend dans la salle, où il va passer un bon quart d’heure, s’asseyant parfois à la place d’un spectateur. L’inquiétude est perceptible chez ses musiciens, qui le perdent de vue pendant de longues minutes. Le public est ravi, d’autant que le guitariste chanteur cabotine à tout va. Depuis la salle en délire, il interprète un autre rock, puis une ballade ; il reprendra les deux styles à son retour sur scène. Le show prendra fin dans un déluge de décibels et sur un rythme endiablé. Le public enthousiaste obtiendra un rappel, et Lucky Peterson reviendra sur scène avec Nicolas Folmer pour un très beau final ludique et rythmé.
- Julien Stella © Michael Parque
Dimanche 19 juillet
Dès l’après-midi, la foule des grands jours envahit l’enceinte du Parc des expositions de Segré pour le dernier jour du festival. La légèreté des baguettes magiques de Mourad Benhammou (batterie) enchante le public de Pierrick Menuau et son Stanley Turrentine Organ Project. Puis la fraîcheur, l’énergie et le charme d’Agathe Iracema (chant) à la tête de son quartet conquièrent les spectateurs - si nombreux que tout le monde ne peut trouver place sous le chapiteau. Mais le clou de la journée, que tous les amateurs attendaient avec impatience et gourmandise, sera évidemment Snarky Puppy.
En première partie, invité par les Groove Catchers, Julien Stella (clarinette basse et beatbox) est une révélation pour beaucoup. Ce jeune homme est effectivement un beatboxeur d’exception et un clarinettiste plus qu’honorable. Voix, rythme, énergie et grande présence scénique, tout justifie les applaudissements nourris qu’il récolte.
Snarky Puppy : musicalité, énergie et joie de vivre
Égaux à eux-mêmes, les Snarky Puppy assurent une prestation haute en couleurs, pleine de rythmes et de bonne humeur. S’il y a une chose que partagent les neuf musiciens présents ce soir autour de leur leader Michael League, c’est bien l’humour. La scène, pour ces joyeux drilles, a toujours des allures de fête, ce qui n’empêche pas la virtuosité. C’est donc dans un tourbillon effréné où l’individuel le dispute au collectif que se clôture la sixième édition du festival.