Scènes

Échos du Saveurs Jazz Festival

La note bleue s’épanouit au soleil de l’Anjou Bleu du côté de Segré


Thomas de Pourquery & Fabrice Martinez au Saveurs Jazz Festival

Pour sa dixième édition le Saveurs Jazz Festival, labellisé Réseau Spedidam, s’est déroulé à Segré-en-Anjou et en Anjou Bleu du 4 au 7 juillet. Les concerts ont notamment eu lieu, pour la troisième fois, dans le parc arboré de Bourg Chevreau. Les spectateurs ont les pieds dans l’herbe mais avec un gradin couvert pour la scène du Parc et dans une nouvelle disposition plus conviviale pour la Marmite et le village du festival.

Carine Bonnefoy au Saveurs Jazz Festival 2019

Carine Bonnefoy Trio : sous le signe de l’élégance
Le cadre intimiste de la Marmite est parfaitement adapté à l’accueil du Carine Bonnefoy Trio : Carine Bonnefoy au piano, Felipe Cabrera à la contrebasse et Julie Saury à la batterie. On connaît surtout la pianiste comme une spécialiste des grands ensembles, pour lesquels elle compose, arrange et qu’elle dirige. Son dernier album en 17tet Today Is Tomorrow - Music for Large Ensemble sorti en mai dernier (Music Box Publishing) a été encensé par la critique. Carine Bonnefoy montre ici que la forme restreinte du trio lui va également comme un gant. Le répertoire est en grande partie emprunté à leur premier album, The Hiding Place, un petit bijou (Gaya Music Production, 2015).

La pianiste présente son groupe comme « un trio collectif », en ce sens qu’il interprète des compositions de ses trois membres. On peut l’entendre aussi dans le sens de jeu collectif. Ici, pas de leader ni de sidemen, seulement trois artistes qui s’écoutent, se respectent et coopèrent pleinement à l’œuvre commune.
La circulation de la parole est fluide, équilibrée. L’ensemble est aérien, plein de finesse mais ne néglige pas de venir retrouver de solides racines bien ancrées. Dans toutes les situations, le duo rythmique assure la pulsation comme un courant qui coule tantôt en surface tantôt souterrain. C’est agréable sans être mièvre, léger mais pas superficiel, coloré mais dans une palette tempérée.

Thomas de Pourquery @ Jean-François Picaut

Thomas de Pourquery et Supersonic, Sons of Love : la Marmite entre en ébullition
En deuxième partie de soirée, la Marmite, la petite scène du Saveurs Jazz Festival, accueille Thomas de Pourquery, saxophone alto et voix, avec son groupe Supersonic : Arnaud Roulin (piano, synthétiseurs, percussions), Fabrice Martinez (trompette, bugle, voix), Laurent Bardainne (saxophone ténor, clavier, voix), Edward Perraud (batterie, voix) et Frederick Galiay (basse, voix).
Dès le premier titre, un Thomas de Pourquery survolté nous entraîne dans un univers où le chant du saxophone semble avoir échappé aux contraintes de notre monde. Ses compagnons d’Odyssée le suivent avec jubilation dans cette voie où l’énergie est libératrice. Parfois le trio de souffleurs se mue en trio de chanteurs avec un égal bonheur.
Quand, au sommet de la tension, surgit une page apaisée, on se laisse aller avec délices comme le nageur qui atteint, épuisé mais ravi, la plage espérée.
La seconde partie du concert, plus vocale, avec la participation du public, donne une impression plus prosaïque.
D’une prestation de groupe de très haute tenue, je retiendrai une formidable improvisation au saxophone alto sur « Sons of Love » et une prestation fantastique d’Edward Perraud dans « Give the Money Back ».

Seun Kuti & Egypt 80 : le mur du (gros) son
Le fils de Fela, Seun Kuti, a repris le flambeau paternel et son mythique orchestre, Egypt 80. Ce soir, ils déroulent, sans vraie surprise, leurs rythmes dansants et leurs couleurs musicales épicées. Kuti passe du chant au saxophone puis au clavier sans cesser de virevolter comme un ludion. Derrière lui, le gros effectif de l’orchestre, très cuivré, assure. A ses côtés, deux chanteuses-danseuses se trémoussent côté face et côté pile.

Emir Kusturica & the No Smoking Orchestra : le joyeux bazar.
Sous d’énormes sombreros, vêtu d’uniformes militaires hérités de la révolution mexicaine, le No Smoking Orchestra, sous l’égide de son chef Emir Kusturica (guitares), assure un spectacle plein d’humour et d’autodérision. Les musiques de films se succèdent, rythmées par quelques mesures de la « Panthère rose ». Elles affichent des rythmes sur vitaminés aux couleurs des Balkans portées par l’accordéon, le violon, on croit même entendre le son synthétisé d’un cymbalum, et soutenues par les cuivres. Ce florilège comporte aussi quelques notes de musique classique, des chansons à boire et à danser. Bref, c’est la fête selon nos voisins de l’Est.

Delvon Lamarr Organ Trio : soul, funk, jazz, rock…
Sympathique mélange de soul-jazz, blues, funk et rock, la musique du Delvon Lamarr Organ Trio a conquis le public en 2 sets. Delvon Lamarr (orgue Hammond) est évidemment l’âme de son groupe. Dans ses meilleurs moments, il se hausse au niveau du fameux Jimmy Smith.
On a aussi remarqué le show de Jimmy James (guitares) façon guitar hero.

Ludivine Issambourg par Jean-François Picaut

Antiloops : le souffle du talent
Antiloops ne déteste pas les loops. La flûte aérienne de Ludivine Issambourg (flûtes, voix, électronique) flotte au-dessus des nappes et des notes des claviers de Nicolas Derand sur fond de rythmique répétitive (Julien Sérié, batterie). A la puissante énergie de certains titres succèdent de belles mélodies. Jolie démonstration inspirée et technique à la flûte en sol.

Serge Lavalette quintet groove band : ça chauffe
Un groupe solide avec une belle paire de cuivres : Michael Jousselin (trombone) et Olivier Bridot (trompette et bugle). A l’orgue B3, Laurian Daire swingue à ravir. Le batteur David Mirando ne fait pas qu’assurer le tempo sur des rythmes variés. Le leader, Serge Lavallette (guitare) démontre son amour de la belle ouvrage, de la mélodie aux riffs saturés.

Line Kruse septet : un pur plaisir
La plus française des violonistes danoises a su conquérir le public du Saveurs jazz festival. Ses compositions qui jonglent avec les rythmes latins mettent en valeur la richesse de sa palette orchestrale. Line Kruse possède un jeu précis, vif et nuancé. Elle mène rondement son monde tout en laissant l’espace nécessaire à ses solistes parmi lesquels on distingue notamment Pierre Bertrand aux saxophones et à la flûte. Arnaud Dolmen (batterie) nous régale d’un festival de rythmes.

« Ibrahim Maalouf invite Haïdouti Orkestar : c’est la fête
Haïdouti Orkestar, ce soir, c’est 20 artistes sur scène : une première dans l’histoire du groupe. Tous Français, à une ou deux exceptions près, ils sont d’origine algérienne, libanaise, turque, kurde, chilienne, espagnole, tsigane de Roumanie, tsigane de Serbie, italienne, belge…
Cette équipe, bigarrée au possible, entend porter haut et fort son message de paix, de tolérance et d’amour, renouveler son soutien aux minorités silencieuses et surtout… faire la fête ! Pari tenu pour cet orchestre essentiellement composé de cuivres, dont une femme : Charlotte Auger (tuba). Sylvain Dupuis, batteur, gère le groupe qui présente également sur scène un chanteur polyglotte, Zéki Ayad Cholash (Zeki Paridamis), une chanteuse kurde, Edika Edika et une danseuse qui fait beaucoup d’effet, Núria Rovira Salat.
Au sein de cette joyeuse troupe, on distingue deux super solistes : l’accordéoniste Jasko Ramic et surtout le jeune Mihai Pîrvan (saxophone alto et zurna). Il a plusieurs fois soulevé l’enthousiasme du public par ses solos qui illustrent sa vélocité, sa puissance sonore et sa tenue de souffle. Toutes qualités qu’il a aussi mises en œuvre dans plusieurs joutes avec Ibrahim Maalouf (trompette quart de ton). Ce dernier s’est surtout illustré ce soir dans son rôle de maître de cérémonie.

Vincent Peirani au Saveurs Jazz Festival 2019

Vincent Peirani quintette, Living Being II : du jazz comme on l’aime, inspiré et généreux
C’est devant une Scène du Parc archi-pleine qu’à une heure inhabituelle (18h15), Vincent Peirani (accordéon, concertina, voix et compositions) a donné rendez-vous à un public attentif et disponible.
C’est « Bang Bang », la pièce liminaire de l’album (Living Being II, Night Walker, ACT, 2018) qui ouvre également le concert. L’entrée en matière, sensible, très mélodique, à la limite du mélodramatique, met tout de suite en place ce climat de sérénité et de plénitude qui imprégnera tout le concert, même quand les choses se feront plus rapides et plus énergiques. Premier morceau, premier enthousiasme du public.

Émile Parisien au saxophone soprano signe un solo très inspiré, orné d’une des chorégraphies dont il a le secret, sur « Unknown Chemistry ». Le triomphe est immédiat. Il récidivera deux ou trois fois au cours du concert. Le duo Peirani-Parisien fait merveille dans « Le Clown sauveur de la fête foraine », admirez le clin d’œil au « clown tueur » de Parisien. L’accordéon et le saxophone soprano nous entraînent au cœur du tourbillon festif, jusqu’au vertige.
On va ainsi, de sommet en sommet, jusqu’à la « Cold Song » tirée de l’aria « What Power Art Thou » in King Arthur d’Henry Purcel où les deux hommes nous donnent le frisson. La conclusion est logique : très longue ovation debout…

Thomas Dutronc & les Esprits manouches : sous le signe du père
Côté face, nous avons un crooner à l’humour acidulé et pince-sans rire, Thomas Dutronc (chant et guitare) qui pastiche son père à loisir, pour le plus grand plaisir d’un public acquis. Il est accompagné d’un talentueux groupe swing.
Côté pile, nous apprécions un Thomas Dutronc guitariste qui n’a pas à rougir de sa prestation au sein d’un groupe « manouche » où brillent la virtuosité de Rocky Gresset (guitare) et le violon ailé d’Aurore Voilqué.

Ainsi s’achève le dixième Saveurs Jazz Festival qui une nouvelle fois, par sa programmation éclectique, a su conquérir un public populaire tout en satisfaisant les amateurs plus exigeants.