Pierre Fénichel Trio
Breitenfeld
Pierre Fénichel (b), Alain Soler (g), Cédrick Bec (dms)
Label / Distribution : Durance/Orkhêstra
Breitenfeld… A part quelques initiés, le nom ne parlera à personne. Les lunettes à grosse monture — que ne renierait aucun hipster — et qui ornent la pochette, non plus. A peine une indication, lorsqu’on se plonge dans l’écoute des premières notes du trio de Pierre Fénichel où sur « Forty Days » la guitare d’Alain Soler laisse échapper quelques sons ascétiques et traînants : il s’agit de lunettes qui étaient à la mode dans les années 50-60, à l’époque dorée du quartet de Brubeck, qui signe la plupart des titres de cet album.
Mais Breitenfeld, qui était-ce ? Un musicien taiseux et discret, qui avait le silence et la pureté du timbre pour amis - et des lunettes d’écaille : Paul Desmond. Le saxophoniste qui avait changé de patronyme « parce que le sien sonnait trop irlandais », trace supplémentaire d’un humour fait d’autodérision.
Fénichel se joint à la batterie très sensible de Cédrick Bec dans cette triplette de Sudistes qui compte avec Soler deux membres du trio BIS, un gage d’élégance que n’aurait pas renié Desmond. Le disque paru sur le label Durance, où le contrebassiste avait notamment enregistré The Alppalachians avec Raphaël Imbert, s’attache à rendre hommage au saxophoniste sans une once d’alto. On pensera, dans la période récente, au Spring Rain de Samuel Blaser autour de Jimmy Giuffre sans un gramme de clarinette. Ici, la stratégie d’évitement permet avant tout de mettre en lumière la grande complexité rythmique des morceaux du quartet de Brubeck, et le rôle de mélodiste qu’y tenait Desmond. Sur le magnifique « The City is Crying », que l’on retrouve sur le méconnu Jazz Impressions of Japan du quartet, la contrebasse tient ce rôle très mélodique, pendant que la guitare de Soler reste le garant d’une certaine limpidité du son mâtinée d’un goût évident pour le blues (« Summer Song »).
Le fait que le disque fasse la part belle à l’album japonisant du quartet de Brubeck (il y a également « Fujiyama », où la contrebasse est remarquable) n’est pas involontaire, Fénichel l’explique avec une grande clarté dans ses notes de pochette en forme de mise en contexte musicologique. Il rend grâce à la rareté du geste et à la précision du musicien, une direction amplifiée par le choix délibéré de morceaux moins célèbres — il n’y a pas « Take Five », le succès de Desmond, mais il y a son « Emily », gentiment cajoleur où le feu bout sous la glace…
La douceur et à la poésie qui environne chaque instant de cet album est un bel hommage à Paul Emil Breitenfeld. Un Desmond sans filtre.