Franck Agulhon, Diego Imbert, Eric Legnini, Pierrick Pédron en concert
Il est toujours très agréable de braver simultanément la nuit, l’hiver lorrain et les brumes spinaliennes pour s’apercevoir que quatre musiciens peuvent faire « théâtre comble » dans une petite ville vosgienne, Épinal, et recevoir un accueil enthousiaste de la part d’un public dépassant le cadre souvent restreint des amateurs de jazz. Ce même public leur étant par ailleurs très reconnaissant du travail effectué depuis la veille pour partager une passion dévorante, celle de la musique, avec une douzaine de stagiaires, tout heureux d’investir la scène en lever de rideau, le temps d’interpréter deux thèmes [1] sous la direction souriante de leurs enseignants et les encouragements bienveillants des spectateurs.
Voilà maintenant dix-huit ans qu’une association particulièrement tenace appelée Lavoir Entendu [2] multiplie les initiatives dans le but de proposer chaque année aux Spinaliens (et à leurs voisins plus ou moins proches) une scène jazz et chanson de qualité, avec en moyenne une dizaine de concerts par saison [3]. Coup de chapeau, donc, à ces quelques enragés de l’animation - au rang desquels Isabelle Sartori et sa fougue communicative occupent une place de choix - qui contribuent à maintenir dans une ville de province une vie sociale et artistique plus qu’indispensable à l’heure où on voudrait nous faire croire que la culture est un bien de consommation comme les autres… Leur combat est salutaire, Citizen Jazz est aussi là pour soutenir ces « activistes » qui cumulent les efforts, à défaut d’engranger des bénéfices !
Franck Agulhon à la batterie, Diego Imbert à la contrebasse, Pierrick Pédron au saxophone alto : trois enseignants haut de gamme rejoints en public par Eric Legnini au piano. Un quatuor inédit né du choix cornélien auquel s’est trouvé confronté Franck Agulhon, un homme d’une désarmante simplicité - devenu un personnage clé de la scène jazz hexagonale -, quand les organisateurs du week-end musical lui ont donné carte blanche pour la programmation du samedi soir : le quartet de Diego Imbert [4] ? Le trio d’Eric Legnini dont il est membre actif depuis sa création ? La belle machine singulière et enchantée de Pierrick Pédron « Omry » ? Agulhon a préféré le compromis en appelant les leaders de ces trois formations, offrant au public un quatuor inédit. On espère avoir assisté au début d’une nouvelle histoire… Une belle histoire de musique, de rencontre et, les sourires affichés en étaient la démonstration, d’amitié.
- Eric Legnini, Diego Imbert, Pierrick Pédron, Franck Agulhon © Denis Desassis
Pour ce qui est du répertoire, le quartet n’a pas eu à chercher bien loin ! Puisant dans le Deep In A Dream de Pierrick Pédron pour des compositions originales comme « Waltz For A King » et « Tune Z » ou un standard tel que « Lover » signé Rodgers et Hart ; convoquant deux thèmes du Big Boogaloo d’Éric Legnini ; ou d’aller faire un tour vers le « Gypsy Project » de Bireli Lagrène [5] pour « Guet Apens », les quatre amis s’en sont donné à cœur joie, distillant jusque dans les moindres recoins du théâtre à l’italienne de la Cité des Images un évident bonheur de jouer et d’engager une conversation émaillée de beaux morceaux de bravoure. Mention toute particulière à Pierrick Pédron, dont le lyrisme éclatant du début à la fin parvient à établir un climat oriental lors d’un chorus sur le « Soul Brother » d’un Legnini à la volubilité gourmande, histoire peut-être de nous emporter avec lui vers des univers qu’il goûte particulièrement, autant d’invitations au voyage. Mention également à la paire Imbert–Agulhon, très en verve, dont la complicité de longue date est ici flagrante. Franck Agulhon s’adonnera même durant près de cinq minutes - sur « Lover » - au redoutable exercice du solo, tout en couleurs et nuances. Ce bonhomme-là n’en finit décidément pas de grandir.
Un jazz tonique, goûteux et débordant de sève ; le public en redemande et fait la fête à des musiciens qui savent faire rayonner un art maîtrisé, mais toujours en mouvement.