Go West : David Chevallier à Rezé
Le trio Second Life de David Chevallier jouait le 27 janvier au Théâtre de Rezé (44)
Photo © Fabrice Journo
En résidence à la Soufflerie de Rezé en périphérie nantaise, David Chevallier présente dans le théâtre de la commune le nouveau répertoire de son trio. Après une revisite de quelques grands thèmes avec Standards et avatars en 2015, Second Life arpente de nouveaux territoires, toujours plus vers l’Ouest, et donne à entendre une musique hybride où le jazz s’associe à la musique folk.
Nous étions prévenus. Lors d’un concert du trio au Pannonica en mai 2015, David Chevallier, visiblement satisfait des capacités de sa formation, confiait ne pas avoir l’intention de s’arrêter à une relecture, si audacieuse et personnelle soit-elle, des grands standards du jazz. L’aventure ne faisait que commencer et il comptait bien lui donner une suite. Après un travail réussi mais hélas trop peu entendu avec le Quatuor IXI autour des musiques de Dave Brubeck (Back To Brubeck) en 2016, qui prolongeait là encore l’histoire du jazz américain, Chevallier entend se recentrer sur des compositions de sa plume, sans pour autant quitter le continent outre-atlantique.
La nervosité de la guitare électrique est mise de côté au profit du nylon de guitares acoustiques, six et douze cordes,ou du banjo. Complété par la basse rassurante de Sébastien Boisseau et la batterie à la fois terrienne et décalée de Christophe Lavergne, le trio nous entraîne cette fois dans un imaginaire qui évoque les vastes plaines du Grand Ouest.
Vous pouvez aller voir ces trois-là sur scène les yeux fermés. Même s’ils sortent tout juste sortis d’une semaine d’enregistrement et sont encore en phase de rodage, D’abord parce que l’exigence de qualité est bien là : l’ensemble est parfaitement homogène. Placés sur une même ligne de front, ils jouent à parts égales, tout entiers au service de la musique, avec une manière sensuelle et entendue de faire circuler le son. Les yeux fermés ensuite - mais les oreilles grandes ouvertes - parce que l’invitation au voyage est forte et propice à la rêverie. Le son cristallin des guitares, dans les arpèges notamment, rappelle cette grande culture de la folk américaine - country, bluegrass, blues - que chacun a en mémoire. Chevallier la réactive en la parant d’atours qui lui sont propres.
- Christophe Lavergne, Sébastien Boisseau et David Chevallier, photo Fabrice Journo
Musique de proximité, pourrait-on dire, mais également lyrique. L’attention circule dans un climat lumineux tout en rondeur qui baigne d’harmonies l’abondante écriture. Car derrière le confort d’une écoute sensuelle se cachent effectivement des compositions savantes qui sont celle d’un authentique compositeur. Les dissonances feutrées, la complexité architecturale, la délégation de boucles de guitare confiées au batteur dessinent de grandes paysages cubistes dans lesquels on croise le fantôme fragmenté de Thelonious Monk et son « Misterioso » mais également des climats complexes qui jouent à fond le contraste entre mélodies obliques et arrangements chantants.
N’oubliant pas pour autant la part d’improvisation qui permet aux musiciens de faire corps avec le répertoire, le trio avance entre douceur et tension. Les bifurcations qu’emprunte Boisseau, si elles élargissent le champ à traverser, ne le font jamais à contre-courant ; la rythmique de Lavergne se démultiplie en nombreuses propositions mais glisse un swing moderne et souple sous les improvisations du guitariste. C’est dans ce cadre-là d’ailleurs que David Chevallier investit le grand langage américain. Le combinant à une musique savante soudain redevenue populaire, il lui donne les résonances d’un monde contemporain.