Scènes

Sylvie Courvoisier & Mark Feldman au Lieu Unique (Nantes)

Dans le cadre d’une tournée européenne, concert du duo Sylvie Courvoisier et Mark Feldman au Lieu Unique à Nantes.


Tous les ans, Jazz en Phase propose une série de concerts organisée par huit structures de l’agglomération nantaise. Le 21 mai 2014, dans le cadre d’une tournée européenne majoritairement française, le duo Sylvie Courvoisier et Mark Feldman, s’est produit au Lieu Unique (ancienne usine LU devenue espace culturel à la programmation transdisciplinaire).

Sur la grande scène nue trône un piano à queue. A côté, un pupitre surplombé d’un micro. La salle est pleine. Sylvie Courvoisier (piano) et Mark Feldman (violon) s’installent, simples et décontractés ; on sent le violoniste prompt à plaisanter tandis que la pianiste reste concentrée. On sait qu’ils forment un couple mais cela ne nuit en rien à l’appréciation, à l’écoute attentive de leur complémentarité artistique ; au contraire, cela ajoute au charme du duo : on est témoin d’une relation privilégiée, celle de l’art se mêlant au sentiment (et inversement).

S. Courvoisier & M. Feldman, photo H. Collon

Durant un peu plus d’une heure, sobrement mais avec une grande délicatesse, ils vont enchaîner cinq ou six pièces dont la sensibilité et le raffinement mettront en avant la grande richesse de leur capacité d’improvisation.

Les craquements du parquet semblent tout d’abord déstabiliser Feldman, mais bien vite le voilà qui fait face au public attentif, voire subjugué par sa virtuosité, et se lance dans un mélange de toutes sortes de traditions (violon classique occidental, accents indiens rappelant Subramaniam dans certains glissandi, swing impeccable). Il puise dans ce fonds avec aisance, selon les besoins de son discours, sans aligner pour autant des formules de catalogue technique : il s’agit plutôt là d’un collage composite et cosmopolite. Derrière lui, soulignant finement son jeu ou le nuançant de couleurs pastel, Sylvie Courvoisier, constamment à l’écoute, tresse un tapis de notes délicates d’où ne sont exclus ni les grands intervalles, ni les écarts creusés dans la tessiture du piano, qui produisent une incontestable dynamique.

A la fin de chaque morceau, chaleureusement applaudi, tous deux vient saluer à l’avant-scène en se tenant par la main. Discrètement, d’un geste précis, la pianiste montre du doigt l’endroit où ils doivent se positionner. C’est alors un hommage très rythmique à Alice Coltrane, « Orpheus And Eurydice » (pièce signée Feldman que l’on retrouve sur leur Live at Théâtre Vidy-Lausanne), puis une composition de John Zorn. Peu à peu, le jeu de la pianiste s’ouvre ; elle pénètre plus profondément dans le clavier et donne au son plus d’ampleur et de masse. Complément solide des phrases aériennes et ludiques de son compagnon, elle frappe l’intérieur de l’instrument et, à présent, semble bien décidée à donner toujours plus de volume à la musique. Une musique qui peut faire songer à Bartok ou à Brahms, soulignée de traits contemporains, et qui se structure autour de thèmes aux couleurs chaudes et contrastées, longuement amenés puis mis en variation par une succession de motifs. Face à cette belle alternance de prises de parole - il n’est pas rare que l’un se taise quand l’autre s’exprime -, l’attention est constamment sollicitée. Les mouvements sont changeants, remplis d’effervescence puis jouant des silences.

A la suite de ce beau voyage, des applaudissements émus referment le concert d’un duo qui offre le spectacle d’une intimité et peint des paysages évocateurs avec force et tendresse.