Chronique

Courvoisier, Gress, Wollensen

Free Hoops

Sylvie Courvoisier (p), Drew Gress (b), Kenny Wollensen (dm)

Label / Distribution : Intakt Records

Parmi les figures imposées du jazz, il en est une inévitable pour tout pianiste, le trio canonique piano-basse-batterie. L’écueil est bien sûr le « déjà entendu ». Apparemment Sylvie Courvoisier détient la martingale pour éviter ce piège. Si j’ai bien compris, c’est ici sa troisième salve après Double Windsor (chez Tzadik) et D’Agala (déjà chez Intakt Records), toujours avec les mêmes Drew Gress (b) et Kenny Wollensen (dm).

Sylvie Courvoisier est définitivement multi-facettes. Son jeu réussit un équilibre savant entre la musique de chambre contemporaine et celle de Cecil Taylor, tout en étant ailleurs. De plus, elle sait saisir d’autres courants ascendants.
Par exemple, elle est de ceux qui nous rappellent que le piano est percussions. Elle fait claquer le bois, fait des sonnailles de ses aiguës ; elle fait souvent crépiter ses notes la conduisant à un phrasé dans lequel Kenny Wollensen s’engouffre pour le doubler, le paraphraser avec ses baguettes.
C’est ainsi que le premier thème, qui donne son nom à l’album, « Free Hoops », se présente comme un éboulement de notes au clavier, scrupuleusement suivies à la basse et donnant lieu à des claquements parallèles sur la batterie. Un passage vers des couleurs d’un jazz d’antan, qui surprennent, avant le retour de ces notes qui dévalent, occasion de crépitements multiples sur les peaux, les cymbales. Il y a dans ce trio une symbiose remarquable.

Sa musique est très souvent dansante, en particulier lorsque sa main gauche se régale de motifs entêtants, à l’image des lignes de basse, laissant à la batterie le soin de spatialiser des frappes au swing dévastateur comme dans « Lulu Dance ». La contrebasse s’émancipe, la main droite papillonne, plaque des accords un peu acides et répétitifs. Puis tout s’arrête pour un nouveau départ déstructuré dans une atmosphère raréfiée, des éclats épars, puis le motif de la main gauche revient peu à peu et embrase notre trio.

Il faudrait citer chaque pièce, tant les bonheurs, les surprises viennent nous chatouiller l’oreille, le cœur, les synapses. À l’image de ce thème très simple qu’on ne risque pas d’oublier : « Requiem d’un Songe », tout comme le film au titre voisin, « Requiem For A Dream ». On pourrait aussi mentionner les initiatives de la basse de Drew Gress (« As We Are », « Galore ») ou des crépitements de bois ensorcelants, quasi ruisselants (« Birdies of Paradise »), baignant dans des intrications ciselées, des constellations affectives.

Enfin, un titre en forme de contre-pied, « Highway 1 », pour clore l’album. Une errance de neuf minutes d’une délicatesse millimétrée. On ne sait pourquoi, la référence à « African Flower » surgit, nous accroche. Pourtant on est loin de l’esthétique d’alors. Peut-être juste quelques-unes des notes posées là, une fêlure du cœur, le kaléidoscope des sons, l’intrication des jeux, un espace comme purifié.

C’est un album de pleine maturité, chacun des musiciens anticipant, complétant parfaitement le jeu des deux autres. La projection sonore, la mise en espace viennent accentuer ce trait. Elles parachèvent le plaisir d’écoute. Les surprises multiples forcent l’attention. Un revamping réussi du trio canonique.

par Guy Sitruk // Publié le 20 décembre 2020
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