Sur la platine

Sylvain Darrifourcq fait le minimum

Plus c’est moins, et plus l’effet se fait.


On l’a entendu ces dernières années dans le White Desert Orchestra d’Eve Risser, chez Marc Ducret (Lady M), dans Deep Ford (au côté de Robin Fincker et Benoît Delbecq), prochainement avec Louis Sclavis et Tony Malaby dans le quartet du guitariste Richard Bonnet ou encore en trio avec Manuel Hermia et Valentin Ceccaldi. Des groupes au format presque “classique” au vu de ce que ce batteur fureteur peut proposer de personnel en marge de ces activités. Petit détour sur une pratique qui semble l’occuper avec beaucoup d’attention en ce moment : le rythme dans ce qu’il a de plus fondamental.

Il y a d’abord cette collaboration avec le compositeur Karl Naegelen, interprétée en duo avec le percussionniste lithophone Toma Gouband dont Citizen Jazz rend compte et qui cherche à exprimer des états nouveaux en superposant et décalant les strates rythmiques. Mécanique de précision où la finesse de jeu est indispensable : Sylvain Darrifourcq s’y montre à son aise, prolongeant un travail qu’il mène depuis quelques années maintenant et qui a certainement trouvé son origine dans le MilesDavisQuintet et In Love With, deux formations resserrées, en trio, dans lesquelles la dimension rythmique et répétitive tenait une part prépondérante. À force de creuser le même sillon, on finit par dégager certaine particularité.

Preuve en est ici le travail qui complète la pièce de théâtre Juillet 61, écrite par la dramaturge Françoise Dô, dans laquelle le percussionniste et le pianiste Roberto Negro proposent une prestation là aussi fortement pulsatile. Trouvable désormais sur bandcamp, Music for Two Upright Pianos, comme son nom l’indique, est jouée avec deux pianos droits préparés, à la sonorité dure de cloches qui crée une dynamique tonique. Ensemble, les deux partenaires martèlent les touches de leur clavier sur deux pistes : « Ongoing mutation » puis « Ongoing transformation » dans une approche, là encore, répétitive. Quelques phénomènes de décalage ne rompent pas le continuum sonore mais permettent des sursauts déstabilisants. Aucune autre progression n’est notable dans cette musique qui doit se considérer comme un bloc pur d’intensité hypnotique.

Autre travail, spatialisé cette fois, qui vaut d’être vu mais peut se satisfaire d’une simple écoute. Rhythm Feedback and Geometry se situe dans la continuité directe de Fixin, une performance qu’avait menée Darrifourcq, durant laquelle une batterie éclatée sur un espace scénique était, tour à tour, éclairée ou plongée dans la pénombre. Cette fois, c’est en collaboration avec la chorégraphe et danseuse Soa Ratsifandrihana qu’il travaille. Solo de danse avant tout donc, mais qui se construit synchroniquement sur la musique du batteur, Gr oo ve devient Rhythm Feedback and Geometry dès lors qu’il est enregistré, également accessible sur bandcamp.

Contrairement à la partition jouée avec Negro qui, elle, sature le champ sonore, Rhythm Feedback and Geometry joue sur le minimalisme et les silences. Imperceptibles ou saturés, les sons bruts constituent le vocabulaire de cette proposition. Bruits blancs, effets de crachotement créent une dimension mécanique surprenante d’où peuvent surgir des cellules microscopiques, comme rayées, des boucles, dérangeantes certes, mais toujours entraînantes. Évoquant les performances de Ryoji Ikeda, on entre dans un organisme électronique qui nous envoûte autant qu’il nous annihile avec, en creux et de manière non frontale, un sens du déroulé parfaitement saisi.