Chronique

The Archetypal Syndicate

Non Locality

Karsten Hochapfel (cello, g port, elg), Paul Wacrenier (kalimba, mbira, likembe, guembri) Sven Clerx (dm, perc)

Label / Distribution : Gigantonium

La très belle pochette du disque et le graphisme ne cachent rien. Ils parlent même avant les sons. À l’origine de l’union de ces trois musiciens, il y a une envie festive, colorée, naturelle, tellurique. La musique improvisée peut être souvent cérébrale mais ici elle veut retrouver toute sa dimension corporelle.

Alors on commencera par le battement, c’est le point fort et l’ancrage de ces mélodistes rythmiciens. Ailleurs, ils sont simplement batteur, pianiste et violoncelliste. Ici, ils jonglent avec une quinzaine d’instruments. Ils représentent la nouvelle génération d’une musique qui se veut chamanique, spirituelle mais surtout engagée, revendicative. Qu’il s’agisse de métal (une armada de lamellophones est ici convoquée) ou de cordes acoustiques, chaque matériau fait sonner ce qu’il contient de plus ancien.

Venu tout droit du Surnatural Orchestra, Sven Clerx fait infuser dans ses percussions mille résonances obtenues grâce à des sources acoustiques qui ne font pas de lui le plus bruitiste des trois. Porteur du projet, Paul Wacrenier (dont les groupes Healing Orchestra et Healing Unit, s’inscrivent dans la lignée de la Great Black Music) apporte les timbres traditionnels. Karsten Hochapfel (vu et entendu aux côtés de Sylvaine Hélary, Naïssam Jalal ; a aussi accompagné sur scène Carolyn Carlson et Alejandro Jodorowski) irrigue cette musique d’un courant électrique facilement absorbable par un public hardi. Ou simplement désireux d’oublier les inconforts d’une longue journée.

Le tout invite à une fête d’abondance. Tout y concourt. Le label Gigantonium, sur lequel on trouve les inclassables et géniaux PoulainJar, le décomplexé Sylvain Darrifourcq avec son projet In Love With, les « Epiphanies » chercheuses de Jean​-​Brice Godet ou la subtilité du plantigrade violoniste Clément Janinet (O.U.R.S.), experts de débords en tous genres. C’est dans cette famille que la musique jaillit. Comme un rempart à un excès de règles et de contrôle. Il va sans dire qu’on en a besoin.

The Archetypal Syndicate convie à « un rituel de transe du XXIe siècle ». Évidemment lorsque l’on parle de transe, on imagine une musique qui joue avec les paradoxes : tension du jeu mais lâcher-prise des foules ; minimalisme mais répétition infinie ; polyrythmie qui provoque l’état second. Mais il ne faut oublier que cette condition de l’esprit est aussi amenée par la perte d’un confort d’écoute. La surprise, l’inconnu, le bruit. N’ayez crainte, l’expérience est sans douleur ; elle vous rendra même plus vi.f.ve. C’est que derrière le voile (de fumée) psyché, le but clairement recherché par ces trois camarades est d’adresser leur musique à « tous les esprits vivants ».

Si The Archetypal Syndicate cite pour référence les Australiens de The Necks, il n’en possède cependant pas le lyrisme. C’est définitivement du coté des U.S.A. et de Joshua Abrams et son Natural Information Society, que l’on trouvera les plus forts points d’ancrage. Ce cousin américain serait ravi de découvrir ce Non locality, contre-balistique idéale de ces temps troublés. Nous le lui adressons.

par Anne Yven // Publié le 21 juin 2020
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