Chronique

Living Things

Upwind Circles

Paul Wacrenier (p), Sven Dam Meinild (as), Tomasz Dąbrowski (tp), Casper Nyvan Rask (b), Rune Lohse (dms)

Label / Distribution : Barefoot Records

Paul Wacrenier est un pianiste qu’on a entendu avec l’Anti Rubber Brain Factory de Yoram Rosilio. Egalement vibraphoniste, il est l’animateur du Healing Unit (ou Orchestra, en grand format), dont nous parlions il y a peu. Il faut y voir une certaine communauté d’idées, ou une convergence qui témoigne d’un respect profond pour les premiers temps du Free. Cela se traduit par l’attention particulière portée à l’élan de liberté d’une rythmique sauvage, que le piano très percussif tente de dompter avec malice. C’est l’architecture nécessaire pour laisser libre cours à des dialogues ouverts. Ainsi, dans Living Thing, quintet que Wacrenier codirige avec le saxophoniste danois Sven Dam Meinild, le contrebassiste Casper Nyvan Rask et le percussionniste Rune Lohse sont tour à tour le liant (« Drones », magnifique discussion piano/archet) ou l’élément perturbateur. « Krigersa » notamment, où les roulements de batterie, front contre front avec le clavier, viennent balayer la trame des soufflants les plus denses.

Sven Dam Meinild est à découvrir de toute urgence, au-delà de ses qualités d’instrumentiste. C’est la partition graphique de son fort abstrait « Spent 10 Minutes Looking At The Tree » qui illustre la pochette de l’album et donne la mesure d’un univers luxuriant et pourtant très ordonné. Sa camaraderie avec le trompettiste Tomasz Dąbrowski est l’une des clés de Upwind Circles. Le Polonais installé à Copenhague joue depuis longtemps avec Tyshawn Sorey et Meinild au sein de l’Ocean Fanfare. On l’a aperçu également avec Kris Davis. C’est l’un des noms à retenir de l’improvisation européenne. Il ne fait pas partie du duo de compositeurs, mais il est leur carburant : l’orchestre se réchauffe à son timbre solaire. Sur « Lines For Wolves », son unisson avec le saxophone, introduit par la main gauche ferme et élégante de Wacrenier, est un instant réjouissant (Mulligan est-il dans la place ?) ; ailleurs, c’est son échappée belle qui emporte Living Thing dans une spirale ascendante.

L’alliance des deux leaders pourrait sembler celle du feu et de la glace. Au Français la dynamique méticuleusement construite ; au Danois l’immédiateté et la liberté formelle. Mais l’alchimie de ce jazz contemporain est plus complexe que cela. Le prisme de Living Things a de nombreuses facettes : Wacrenier se dirige plutôt vers l’Afrique (« Ce qui vit »), Meinild en direction des Balkans (« Mey Duo »). Ils se retrouvent autour d’une pièce écrite, véritable mécanique de précision (« Moondog »). Tout s’entremêle et ce qui en découle est d’abord une véritable émulation collective. Foncièrement vivante.