Tribune

The Eddy : rien à signaler

Soudain, le monde du jazz s’excite sur la nouvelle série Netflix et on se demande bien pourquoi


La nouvelle série The Eddy, créée par Jack Thorne et dont les deux premiers épisodes sont réalisés par Damien Chazelle, est sous-titrée « drame musical ».

The Eddy est une série dramatique qui parle des problèmes d’argent, des problèmes familiaux et qui se résume ainsi : aux prises avec de dangereux criminels, le patron d’un club de jazz parisien s’efforce de protéger son affaire, son orchestre et sa fille de 16 ans.

On y évoque le jazz, ça met cet univers en lumière. Il faudrait s’en réjouir.
Sauf que.
Comme à chaque fois que le jazz sert de support, de prétexte, d’excuse ou même de fil rouge à une nouvelle création, c’est tout un univers - habituellement délaissé et à l’abri de l’agitation médiatique - qui se retrouve sollicité, sommé de prendre parti sur le mode : regardez, une série sur le jazz ! Alors, on n’est pas content ?
En plus, pardon, mais on a mis le paquet : un scénariste multi-primé, un producteur plein de Grammys, un réalisateur plein d’Oscars, des acteurs reconnus et même des vrai.e.s musicien.ne.s de jazz dedans.
Impossible que ça rate, la recette est parfaite.

Donc, certes, la série est lancée avec fracas et particulièrement en France, puisque l’action est localisée dans le nord-est de Paris et qu’une partie de la distribution est française. Certes, on y entend du jazz joué live, ce qui est plutôt rare, mais ce qui ne colle pas avec la réalité c’est : quel type de jazz dans quel type de club pour quel type de public.
Et toutes les personnes qui vont dans des clubs de jazz actuellement, à Paris ou ailleurs, savent qu’un tel club n’existe pas. [1] Surtout pas dans le nord-est de Paris.
Quand à la musique jouée dans la série, c’est une esthétique ultra classique, bourrée de clichés sur le genre. Pas mauvaise, mais creuse, glacée comme une pub. C’est dans ce monde que les ambiances sont « jazzy », que les cuivres étincellent et que les chorus sont joués comme si la vie des musiciens en dépendait.

Le monde du jazz tel qu’il est dépeint ici n’existe pas. C’est un à peu près. Et au plus près, ça n’existe plus. En somme, The Eddy est au jazz ce que Le Monde de Némo est à l’océanographie.
Et Damien Chazelle, après Whiplash et La La Land, continue de mettre en scène un jazz qu’il a inventé : le jazz Disneyland.
Quant à l’histoire, elle n’a ni queue ni tête, les personnages sonnent creux et même leurs propres intrigues ne les intéressent pas et ça se voit.
Alors la promotion bat son plein, Netflix a les moyens « d’arroser » la presse de communiqués, mais ce n’est pas la peine de nous déranger pour si peu.

par Matthieu Jouan // Publié le 17 mai 2020

[1Je ne parle pas des deux/trois limonadiers qui remplissent leur salles deux fois par soir avec des cars de touristes japonais et des congressistes en goguette.