Tribune

To be or NOUT to be

Carnet de route de la tournée norvégienne de NOUT.


Nout © Clara Lafuente

Dans le cadre du dispositif européen Better Live, le trio français NOUT a été programmé pour une tournée en Norvège, sous l’égide de Victoria, la scène nationale de jazz d’Oslo et son directeur artistique Øyvind Larsen.
Une dizaine de jours et autant de concerts, organisés dans la foulée et avec un cahier des charges écologique pour limiter l’empreinte carbone.
NOUT en tournée norvégienne, un carnet de voyage de Rafaelle Rinaudo en deux épisodes.

Cette aventure commence un soir à Saint-Malo.

Après un concert, les oreilles encore engourdies de son, nous retrouvons des pros du jazz dans un rade en bas de notre hôtel.
Camille Retailleau est réalisatrice du podcast Jazzpunkt et Matthieu Jouan est directeur de la publication de Citizen Jazz.
Blanche Lafuente (la batteuse), Delphine Joussein (la flûtiste) et moi (la harpiste) nous les apprécions beaucoup. Du coup, on sèche la jam du festival pour papoter tou·tes ensemble.
On cause boulot, on parle de la situation de la culture autour d’un jus de fruit, quand soudain j’entends ma bouche prononcer cette phrase « ça te dit qu’on écrive un carnet de voyage sur notre tournée en Norvège ?  ». Les mots sont à peine sortis que j’aimerais pouvoir les rattraper pour les remettre dans ma bouche, revenir en arrière et réfléchir avant de de parler.
Hélas : c’est fait, c’est dit et les copains ont l’air contents. Je pense « les pauvres, ils ne savent pas ce qui les attend… ».

C’est vrai quoi ! Entre deux trains et deux avions, deux pique-niques et dix balances, aurons-nous finalement quelque chose de croustillant, de frais à raconter ? Bref des punchlines de badass à dégainer ?
Saurons-nous - saurai-je - décrire avec une langue impeccable les paysages, les vols de croissants au petit déjeuner et les rencontres incroyables que nous allons faire ? Est ce que l’envers du décor est digne d’une chronique ?
Quoi qu’il en soit, une semaine plus tard, dans l’avion, il est trop tard pour reculer. Nous partons punkiser la Reine des neiges et en plus il va falloir vous raconter comment.


Le sujet pancake
Le premier indic que nous rencontrons sur place est Anne Yven, en sa qualité de membre du comité de rédaction de Citizen Jazz. Je la rencontre au club Victoria à Oslo. Je me rapproche d’elle, et, tout en serrant la mâchoire et en regardant ailleurs un peu gênée, je lui dis : « hep steuplait ! t’as pas un sujet pour C. J. ? J’sais pas quoi raconter et j’imagine que tout le monde se fiche de ce que NOUT mange au p’tit dej ». Grand éclat de rire d’Anne : « Mais Rafaelle, il faut laisser reposer les sujets ! Tu verras, laisse passer deux semaines après votre retour et de belles lignes vont se dégager ».
Première info. Donc, si j’ai bien compris, un sujet c’est comme un pancake : faut le laisser gonfler et ensuite le faire cuire. Pas mal.
Mais impossible en ce qui concerne NOUT. Nous avons une mémoire de poisson rouge et il suffit d’un tour de bocal pour que nous oublions des évènements précis. Mauvais tuyau, mais super soirée.

La Golf GTI de l’attaché culturel
À Oslo, nous jouons deux fois le même jour : à 17 heures et à 20 heures. Le concert de l’après-midi est ouvert à tou·tes gratuitement. Avec les filles, nous trouvons qu’une avant-première gratuite est une manière vraiment intelligente de faire venir des publics vers nos musiques bizarres. Cette idée est gardée et sera donnée en France aux collègues qui font de l’éducation artistique et culturelle.
Cet après-midi-là, nous jouons devant des adultes enthousiastes et des enfants qui dansent munis de leurs casque anti-bruit.
Le soir : deuxième set. Le club est plein de Français et de Norvégiens. Nous l’avons su immédiatement car, à peine montées sur scène, vl’a t’y pas qu’dans le public une voix familière retentit « ouaaaaaaiiiiiiiis NOUUUUUUUUUUUUT brorororororo (voix growl) ». Mesdames et messieurs, voici Ève Risser en fangirl de NOUT.
Soirée mémorable car nous sommes très honorées de jouer sur cette scène devant un public à la fois empreint de feu et de glace.

Après le concert, Ève me donne enfin un tuyau intéressant : en Norvège, il faut aller faire du shopping dans les fripes UFF et notamment au rayon homme taille XL. Visiblement ce lieu est une mine de pépites pour des tenues de scènes. Elle me désigne également un homme en disant : « Allez parler avec Marcellino, c’est l’attaché culturel de l’Institut Français. »

Attaché culturel… mais dans les films d’espionnage, l’attaché culturel, c’est pas un espion sous couverture ? Dans quel film j’ai vu ça, déjà ? J’oublie ma recherche cinématographique et je vais lui parler - avec Anne, ma nouvelle enquêtrice associée qui me suit à la trace. Peut être que nous tenons une piste.

Delphine et Blanche vont, quant à elles, discuter avec son épouse, car en tournée, nous avions suivi un mooc de science-po spécialité diplomatie, qui expliquait que lorsqu’on veut recueillir des infos de puissant·es dirigeant·es il faut absolument parler avec leur époux ou épouse pour en récolter… J’imagine que vous voulez savoir ce qu’on apprend. J’y viens. Patience.

Pour commencer, Marcellino et Gunnild ont une Golf GTI qui n’est pas en Norvège mais garée à Toulouse.
Ladite Golf GTI démarre toujours malgré ses 300000 km.
À ce stade de l’enquête, Anne est sur le coup, elle parle de sa Renault qu’elle n’arrive pas à vendre, j’essaye de parler de ma 206 et de mon pare-chocs cassé… les choses avancent.

Finalement nous venons à parler de culture et là, miracle - je dis miracle, car le fait est assez rare pour être notable - notre homme nous tient un discours optimiste sur la situation actuelle. Certes il y a moins d’argent, mais il faut se battre car plein de choses sont encore possibles. Joie.
Minuit sonne, on est loin du « Bureau des légendes », mais nous rentrons nous coucher heureuses et moins pessimistes quant à l’avenir.

Le lendemain, nous donnons une master-class au conservatoire d’Oslo. Nous mettons donc l’enquête entre parenthèses pour aider des jeunes à jouer notre musique. Leur transition punk se déroule bien, comme en attestent ces vidéos.




L’enquête n’est finalement que partiellement mise entre parenthèses puisque nous décidons le soir de vérifier le filon d’Ève. Les fripes UFF sont super, elle a raison : le rayon homme XL est absolument incroyable pour qui cherche de la fripe des années 80 comme tenue de scène. Heureusement qu’en Norvège tout est plus cher qu’en France et que nos valises sont déjà bien pleines… sinon nous aurions dépensé tous nos cachets en un après-midi.

L’étrange concert chez Mr Li
Vendredi nous partons, green tour oblige, en train. 8 heures jusqu’à Stavanger, pour en repartir le lendemain à 7 h du mat : en bref, nous faisons un go fast à l’ouest.
Stavanger, c’est exactement le type de ville charmante qui m’évoque les soirées de ma jeunesse devant l’émission Thalassa avec ma grand mère Suzanne.
« Stavanger, petit port de pèche à l’est de la Norvège, joyau de la péninsule nordique et capitale du saucisson de renne… ».
Chose absolument incroyable, nous jouons dans un club de jazz, le SPOR 5, qui est DANS la gare : à peine sorties du train nous sommes déjà installées sur scène pour les balances.
C’est aussi une ville ou nous sommes accueillies comme des “rennes” puisque nous en mangeons le soir en ragoût, et dormons royalement dans un hôtel Radisson. Autant vous dire qu’après le concert, après avoir plié son matériel, Delphine part de la salle en hurlant « À demain les filles, maintenant chaque minute compte dans ces chambres de dingue ».

Retour dans le wild wild East le lendemain, nous partons à Tønsberg. Enfin, du moins c’est ce que nous croyons. En voulant faire un peu de publicité sur les réseaux pour le concert, nous nous apercevons que le lieu où nous allons jouer n’est répertorié nulle part. Le mystère s’épaissit quand nous rencontrons notre hôte qui s’appelle Mr Li et qui nous précise qu’il n’est pas un ressortissant chinois. C’est ça oui… c’est ce que disent tous les espions qui ne veulent pas faire sauter leur couverture, non ?
Mais où allons-nous ? Dans quelle histoire nous sommes-nous encore fourrées ?
Monsieur Li nous emmène dans une ferme en pleine campagne, qui ressemble aux laboratoires de fabrication de produits illicites dans les séries policières. Nous ne parlons plus, la tension et le stress commencent à se faire sentir.
Nous entrons dans le lieu, et là : soulagement. Nous sommes dans une librairie de BD et de livres arty.
Mr Li nous montre l’endroit où nous allons jouer et le sourire revient sur nos visages : les BD de Riad Sattouf traduites en norvégien sont étalées partout sur des présentoirs.
Delphine hurle : « Ah mais nous sommes à la maison ici ! » Blanche rit.
Finalement nous sommes dans un haut lieu de la contrebande de bouquins d’art. OUF !

Le soir à l’hôtel, nous jouons à Game of Thrones comme en atteste la photo ci-dessus. Vous l’aurez compris, chez nous pas de guerre car le pouvoir, il faut que ça tourne et que ça se partage.

Un détail important à vous communiquer me revient à l’esprit : c’est la soupe que nous mangeons au dîner. Un truc de dingue. On en boit 3 bols chacune, c’est dire.
Voici la recette :

Faire revenir beaucoup d’ail et d’oignons dans une marmite
Ensuite mettre de l’eau, des patates douces et des carottes.
Quand tout est bien cuit, ajouter du lait de coco, du piment d’Espelette et du gingembre.

Délicieux. Le genre de plat qui fait du bien à l’âme.

To be or NOUT to be, that is the question.


Suite des aventures dans la seconde partie (à venir).