Scènes

Tremplin Jazz d’Avignon 2009 [1]

Au Cloître des Carmes, du 4 au 8 août, avec le Tribut africain de Stéphane Huchard, Laure Donnat Quintet « Straight Ahead », Sobtone, Sloobiie, Christian Mendoza Group, Kalima Trio…


Le Tremplin jazz continue son aventure musicale avec une équipe de bénévoles fidèles en dépit et des problèmes inhérents à ce genre d’organisation. Si Michel Eymenier, toujours directeur artistique, se consacre à la bonne marche du jury et à l’organisation de passionnantes conférences, tandis que Pascal Anquetil nous parle, à la Mirande, des variations sur « Body & Soul » (le lendemain, M. Eymenier évoquera avec ardeur et précision la vie compliquée de Lester Young), Tremplin et festival sont depuis l’an dernier sous la responsabilité du jeune Jean-Michel Ambrosino.

Sudiste mais non sectaire, l’association du Tremplin Jazz qui organise chaque année un concours européen prolongé par un festival de jazz dans la Cité des papes, début août, loin des hordes théâtrales, propose aux Avignonnais revenus prendre leurs quartiers d’été les concerts et le Tremplin européen de l’Avignon Jazz Festival dans le cadre exceptionnel du cloître des Carmes.

Stéphane Huchard, photo Clarisse Caron-Biou (D.R.)

L’ouverture de l’édition 2009 est réjouissante, avec l’« African Tribute » de Stéphane Huchard, un hommage à Art Blakey, lequel avec ses Jazz Messengers, écrivit une page décisive de l’histoire du jazz. L’idée est bonne puisque le batteur américain était fasciné par les rythmes de l’Afrique de l’Ouest et des Caraïbes. Et Stéphane Huchard a gagné son pari : il parvient effectivement à restituer un peu de cette époque superbe - musicalement parlant - et révolue, sans tomber dans l’imitation plate et sans âme d’un son et d’une manière.

Il a également su s’entourer d’une équipe de choc : à un quintet hard bop, nerveux et musclé, s’apparentant aux Messengers période Blue Note (Diego Imbert à la contrebasse, Sylvain Beuf aux saxophones, Alexandre Tassel au bugle, et Pierre De Bethmann au piano), le batteur a adjoint une paire d’as, deux percussionnistes africains : Baba Sissoko [1] au talking drum ou tama, [2] et Thomas Gueï aux djembés, congas, et gloé. Ces deux orfèvres du rythme, l’un malien, l’autre ivoirien, savent donner de la vigueur et un parfum africain à une musique américaine qui ne leur a jamais paru étrangère.

Les arrangements de Stéphane Huchard sur des thèmes de Cedar Walton, Bobby Timmons, Lee Morgan, Freddie Hubbard ont conservé l’incroyable énergie de cette musique des années 60 dont on peut à juste titre avoir la nostalgie. Huchard prévient : ils ne se risqueront pas à reprendre « Blues March » [3] cet extraordinaire hymne dû à Benny Golson qui démarrait par un inoubliable roulement de tambour, pulsait d’entrée et réchauffait corps et âme, la batterie occupant le centre de l’attention. Seule peut-être la reprise de « Moaning », autre thème phare de Blakey, paraît moins convaincante - mais peut-on vraiment faire oublier l’original ?

Huchard propose aussi - outre un solo de batterie - une composition originale, « Blakey’s Mood », qui permet à Alexandre Tassel de révéler tout son talent au bugle [4]. Tempos intrépides comme dans le bop, alternance « classique » de solos d’excellente facture, atmosphères bluesy, funky, churchy, mâtinées de gospel… telles sont, entre autres, les clés du succès de cette musique, qui enflamme le Cloître.

Laure Donnat, photo Clarisse Caron-Biou (D.R.)

Il faut dire que le public avait été chauffé par le quintet de Laure Donnat, « Straight Ahead », nom adapté à ce programme tout en énergie sur des compositions en français de la chanteuse ; celle-ci est entourée, voire portée par des musiciens accomplis parmi lesquels Rémi Dumoulin (saxophones et clarinettes). Laure Donnat est une personnalité de la scène locale, une pasionaria du jazz vocal qui se livre aussi dans l’écriture de textes qu’elle projette, proclame avec chaleur et sensualité. Elle dirige aussi des ateliers chants dans le cadre de l’Ajmi et, pendant le festival, accompagnait François Jeanneau le matin même dans un stage de sound painting suivi avec intérêt par les musiciens et lauréats du concours.

Les deux soirées suivantes voient s’affronter dans le cadre du Tremplin Jazz les six jeunes formations sélectionnées en mai, parmi plus de 80 candidats, pour le concours européen : Belges, Luxembourgeois, Allemands et Français. Le public, toujours aussi nombreux (on refuse du monde), n’hésite pas à donner son avis en votant pour le Prix du public. Composé cette année de musiciens, de journalistes de la presse écrite et du Web, le jury est présidé avec aisance et humour par François Jeanneau. La tâche est délicate car les styles, les esthétiques diffèrent largement. [5] L’enjeu est d’importance puisque le vainqueur gagne deux jours d’enregistrement au Studio la Buissonne avec Gérard de Haro, et une première partie de concert l’année suivante. C’est Alexandra Grimal qui revient boucler la boucle avec un groupe franco-italo-hollandais né en Hollande, en première partie de China Moses et Raphael Lemonnier dans leur hommage à la grande Dinah Washington.
Je l’ai précédée à La Buissonne pour suivre le travail d’autres lauréats, ceux de l’an dernier : les jeunes Allemands de Subtone. Très prometteur, ce quintet très soudé m’avait conquise et, moi-même membre du jury, j’avais pensé à lui pour le Prix d’interprétation, qui revint d’ailleurs à l’émouvant Malte Durrschnabel, saxophoniste alto. [6]

Le répertoire de cette formation berlinoise en perpétuelle évolution flirte avec le hard bop, mais avec fraîcheur, en évitant les gimmicks d’un répertoire très codé. Son histoire commence en en 2005 à « Jazz an der Donau », en Allemagne du Sud. Magnus Schriefl (tp), Peter Gall, (dms ) et Florian Höfner (p) se connaissaient depuis le Landesjugendjazz Orchester Bayern, mais décident alors de former un quintet sans leader, dopé par l’arrivée d’un nouvel élément, le contrebassiste Ruben Samana, qui lui apporte une vision très personnelle : chacun fournit des compositions, qui sont ensuite retravaillées collectivement, dans l’idée de définir ensemble les arrangements. En studio, impressionnés mais conscients de la chance qui leur était offerte, les musiciens se sont montrés très attentifs, très réfléchis, et ont fait preuve d’une réelle cohésion, d’une grande « maturité citoyenne ». Loin des groupes de reprises ou de répertoire, Subtone révèle des structures originales ponctuées d’espaces ouverts, propices aux improvisations, ses membres se partagent démocratiquement les registres, harmonies, improvisations, basses…

Subtone, photo Clarisse Caron-Biou (D.R.)

Soutenu par le travail en réseau de structures telles que le Goethe Institut, Subtone a donné plus de cent cinquante concerts en Allemagne ces deux dernières années. Même si deux musiciens sont partis étudier l’un à New York et l’autre à Bruxelles, tous entretiennent des liens étroits et reprennent vite leurs marques. Ces deux jours à La Buissonne (du 3 au 5 août), suivis de la première partie de Julien Lourau le 7 leur ont permis de finaliser leur travail.

Encore tout imprégné de l’esprit de La Buissonne, Subtone livre une prestation très maîtrisée comptant six nouvelles compositions ; les couleurs sont changeantes - entre musique de chambre, pop et soul jazz… on sent une profonde connaissance de l’histoire du jazz, et les influences bien digérées des Messengers, de Kenny Wheeler ou des Brecker Brothers… Un véritable son de groupe surgit naturellement, porté par l’interactivité entre les souffleurs (sax/clarinette ou trompette) agrémentée sur deux titres de la présence grave et élégante d’une clarinette basse. La circulation des idées rythmiques est bien plus efficace depuis l’arrivée de Ruben Samana [7], qui redistribue mieux les atouts.

Un dernier titre vibrant, suivi d’un rappel enthousiaste ; devant la scène, l’équipe de bénévoles forme alors un mur de tee-shirts noirs à l’emblème du Tremplin pour acclamer ceux qui, l’an dernier, on raflé presque tous les prix (jury, public, instrumentiste).

(La suite…)

par Sophie Chambon // Publié le 28 septembre 2009

[1Rencontré dans le « Malian Project » de Dee Dee Bridgewater.

[2Tambour qui se joue sous le bras, et qui permet par pression du bras sur les cordes de tension des peaux, de moduler la note.

[3Les plus âgés se souviendront que c’était de l’indicatif, sur Europe 1, il y a cinquante ans, de l’émission de Daniel Filipacchi et Franck Ténot.

[4qui chez lui a un son de trompette

[5Frank Bergerot rappelle d’ailleurs sur le blog de Jazz Magazine le choix du jury 2007, qui a couronné le quartet d’Alexandra Grimal (Prix du Jury) bien que le groupe ait donné une prestation peu aboutie. Mais dans un tremplin, il est parfois difficile d’être concentré, efficace et convaincant. Néanmoins, le fort potentiel de l’ensemble avait fini par convaincre.

[6Le trompettiste Magnus Schriefl, tout aussi excellent, avait aussi retenu mon attention.

[7Néerlandais d’origine connu de la scène new-yorkaise.