Chronique

Louis Sclavis

Dans la nuit

Louis Sclavis (cls), Dominique Pifarély (vln), Vincent Courtois (cello), François Merville (d, marimbas), Jean Louis Matinier (acc).

Label / Distribution : ECM

Louis Sclavis a toujours aimé travailler à des musiques pour la scène et l’image. Aussi, à l’invitation de Bertrand Tavernier, il a composé la musique d’accompagnement du film muet de Charles Vanel Dans la nuit, tourné en 1929.

Il retrouve deux de ses complices de l’Affrontement des Prétendants, François Merville un batteur qui prouve qu’il sait aussi jouer subtilement des marimbas à l’occasion, et Vincent Courtois, le compagnon indispensable, violoncelliste précis, discret et toujours efficace ; Dominique Pifarély, violoniste de l’inoubliable Acoustic quartet, le rejoint dans ce projet ainsi que l’accordéoniste Jean Louis Matinier, déjà présent sur la bande-son de l’avant-dernier film de Bertrand Tavernier ça commence aujourd’hui.

C’est la mise en place d’un autre quintette, avec une sonorité nouvelle, celle de l’accordéon, central pour restituer l’ambiance de l’époque. Dans la nuit est une valse musette, une ritournelle qui nous entraîne dans un folklore revisité qui berce l’imaginaire de Louis Sclavis. A moins que ce ne soit un autre leit-motiv, Dia Dia qui joue ce rôle, ou le lancinant thème des Deux visages.

Le film, l’un des derniers muets français, injustement oublié dès sa sortie, restoré par la Cinémathèque Française, présenté par Arte et l’Institut Lumière, fut tourné près de Lyon, dans la région d’origine du père de Charles Vanel et de… Louis Sclavis. Sans connaître l’histoire, qui traite d’amour, de trahison, d’accident, d’une vengeance à deux visages, sur fond de mine, avec la seule indication des titres, la musique évoque l’atmosphère tendue de certaines scènes comme dans le travail. Le retour de noce, dominé par une clarinette inquiétante que souligne un violoncelle volontairement sombre, annonce quant à lui le drame tout proche.

Composer une musique de film, muet de surcroît, exige de la rigueur par rapport au scénario et à l’évolution des personnages, de la précision dans le tempo de l’action, une traversée précise des couleurs et climats. Ce travail présente aussi certaines difficultés : s’il faut tenir compte de l’époque, d’une certaine esthétique cinématographique, qui hésite ici, comme le dit Sclavis, entre Murnau et Renoir, le piège est de tomber dans la reconstitution expressionniste ou trop réaliste, de réduire la musique à un exercice de style, même brillant. Alors qu’il faut parvenir à ce que, selon la perception du film propre à chaque musicien, leur travail s’inspire et se détache à la fois de la forme seule. Difficile de rester dans l’action mais de ne pas en être aussi prisonnier, de laisser l’image respirer librement , de jeter des ponts entre le temps du film et aujourd’hui. D’où l’intérêt des morceaux moins calés qui libèrent l’improvisation collective comme La fuite ou Le miroir.
Et le travail de cette « belle équipe » est en tout point réussi et fort séduisant. A tel point que cette création nous ferait presque oublier sa fonction première d’ accompagnement musical en direct, soulignant la poésie des images en noir et blanc. On se laisse prendre par la suite très actuelle de ces pièces, souples, courtes souvent, jamais en rupture, plutôt en contrepoint . Et c’est ainsi que l’on finit par imaginer son propre film, né de cette émotion, de la pulsation souveraine, qui devient danse et chant.