Chronique

Jean-Pierre Como

Express Europa

Jean-Pierre Como (comp, p, kb), Stefano Di Battista (as, ss), Louis Winsberg (g), Jérôme Regard (b, elb), Stéphane Huchard (dms), Hugh Coltman (voc), Walter Ricci (voc) + André Ceccarelli (dms), Jean-Marie Ecay (g), Xavier Tribolet (org), Pierre Bertrand (arr).

Label / Distribution : L Âme Sœur Productions

Vingt ans après... Un peu à la manière d’Alexandre Dumas et ses mousquetaires, Jean-Pierre Como propose une suite à l’histoire dont le premier volume avait vu le jour en 1995. Voulant célébrer son amour conjoint de la France et de l’Italie, le pianiste avait imaginé un Express Paris Roma et s’était entouré pour l’occasion d’un quatuor apte à faire défiler sur les rails comme elles le méritaient les couleurs chaudes de sa musique. Et voici que surgit la suite de cette aventure, sous le titre voisin d’Express Europa. On comprendra très vite que l’espace géographique s’est un peu étendu entre temps et que la force du lyrisme des compositions de Jean-Pierre Como n’a pas faibli le moins du monde. Tant mieux !

Il s’est passé beaucoup de choses en deux décennies : ce nouvel album, le dixième pour Como (il faut compléter sa discographie en y ajoutant les disques de Sixun), fait suite à Boléro paru en 2013, disque dont les qualités avaient été soulignées ici même. On retrouve à l’affiche d’Express Europa une bonne partie de l’équipe réunie vingt ans plus tôt : Stefano Di Battista (saxophones), Louis Winsberg (guitare) et Stéphane Huchard (batterie), Christophe Wallemme cédant la place à Jérôme Regard à la contrebasse. Et pour que la fête soit encore plus belle, quelques amis supplémentaires sont invités, et pas des moindres : André Ceccarelli, Jean-Marie Ecay, sans oublier Pierre Bertrand, sollicité pour arranger plusieurs compositions. Mais cette augmentation du capital humain n’était encore pas suffisante pour Jean-Pierre Como, plus que jamais désireux de faire chanter les mélodies qui le hantent depuis toujours. Dans ces conditions, quoi de mieux qu’une voix humaine pour les servir ? Quels chanteurs plus chaleureux que le jeune Walter Ricci, qu’on présente parfois comme l’héritier de Franck Sinatra ou Dean Martin, et le déjà expérimenté Hugh Coltman, l’Anglais qui vient de rallier bien des suffrages avec son hommage à Nat King Cole [1] ?

On serait bien mal avisé de reprocher à Jean-Pierre Como, dont le jeu scintille du début à la fin, de nourrir un jazz par trop soyeux, pour ne pas dire sans aspérités. Car si sa musique n’est jamais abrasive, si elle choisit toujours la caresse de préférence à la griffure, elle est à tout moment une célébration vibrante : celle des racines du pianiste (la présence de l’Italie est ici renforcée par celle de Ricci le Napolitain) et de son amour pour un pays qui est en lui à jamais ; celle de l’amitié ici symbolisée par le trio déjà présent en 1995 ; celle d’une passion déclarée pour la chanson en ce qu’elle a de plus viscéral et qu’incarnent à merveille Walter Ricci et Hugh Coltman, dans des registres distincts, le premier se glissant plus naturellement dans les pas des crooners, alors que le second porte en lui un blues sous-jacent, une expression plus nocturne (blues qu’il a d’ailleurs célébré avec son groupe The Hoax).

Express Europa est un hymne à la joie des retrouvailles, qui déroule avec beaucoup d’élégance ses ballades flottantes et solaires, dont le climat étale est parfois troublé par une saute de bonne humeur (« Mandela Forever ») ou rehaussé de teintes plus orientales, comme celles du saxophone alto de Stefano Di Battista sur « Silencio », signé Louis Winsberg, et qu’on est heureux de retrouver ici dans ce qu’il a de plus percutant et concis, loin de toute velléité de démonstration. D’une certaine façon, cet album semble boucler une boucle de plus de 25 ans : en 1989, Jean-Pierre Como publiait son premier disque, Padre, en hommage à son père. Cette fois, il dédie sa musique à sa mère. Y a-t-il plus belle manière de dire l’amour qu’avec une telle déclaration ? Express Europa est en tous les cas une réponse émouvante à cette question, et par ailleurs un disque dont la conclusion en duo voix piano (« Io Che Amo Solo Te ») est à donner le frisson.

par Denis Desassis // Publié le 22 novembre 2015

[1Hugh Coltman, dont il faut absolument redécouvrir deux disques étincelant d’un pop rock haut de gamme : Stories From The Safe House (2009) et Zero Killed (2013).