Scènes

Tribu festival, la diversité réinventée.

Le festival dijonnais se veut une fois de plus synonyme d’éclectisme, la diversité des mouvances artistiques qui s’y succèdent témoigne d’une vitalité intacte.


Qu’elles soient originaires de Kinshasa ou de Marseille, les musiques qui ont rythmé le Tribu Festival ont apporté leur lot de surprises. Un éventail de styles musicaux qui ont interpellé un public de tous âges : une fois de plus, les bonnes surprises ne manquaient pas. La transmission du savoir et le foisonnement de rythmes qui se sont succédé le 27 septembre ont révélé des prestations très variées.

C’est une prise de risques qui honore Fanny Lasfargues et Emmanuel Scarpa, qui n’ont pas seulement formé une rythmique de choix lors de cette édition. Ils avaient une mission honorable : enseigner les processus de l’improvisation à une trentaine d’étudiants formés en première année à l’École Supérieure de Musique de Bourgogne-Franche-Comté. La répartition des jeunes musicien·nes en deux groupes distincts, la succession de séquences variées mais surtout une approche de la liberté jointe à une clarté pédagogique exemplaire, ont suscité l’enthousiasme, aussi bien dans la salle que sur scène.

Ecole Supérieure de Musique de Bourgogne-Franche-Comté © Tribu Festival

Ultime répétition : la musique prend corps, elle s’installe progressivement et permet à chaque individu de lâcher prise sur les codes de la musique classique. Fanny Lasfargues exprime bien les enjeux de ce challenge : « J’avais une légère appréhension avec ces jeunes de l’ESM qui n’avaient jamais fait d’improvisation, mais très vite il y eu une bonne adaptabilité de leur part et leur curiosité les a poussés à découvrir des systèmes déroutants. Faire la musique ensemble aiguise l’écoute mais il est important de leur dire qu’avec l’improvisation on peut tout faire, mais pas n’importe quoi. »

Lors de cette dernière répétition, on peut mesurer le travail accompli par ces musicien·nes, très réactifs tout en étant concentré·es sur les indications verbales. Pour ces jeunes gens, la découverte de l’improvisation, c’est déjà l’abandon du pupitre et de la partition, ce qui engendre certainement une différence dans l’approche corporelle de l’instrument. De plus, un travail s’est constitué sur la voix dans la première partie. Un monde nouveau s’offre à ces étudiant·es qui, demain, deviendront pour certain·es des professeurs, ce qui confirme l’importance pédagogique de cette expérience.

Emmanuel Scarpa nous confie ses impressions : « Je suis déjà intervenu dans des concepts basés sur l’approche de l’improvisation, mais c’est la première fois avec autant de monde. J’ai constaté une belle ouverture qui a débouché sur des propositions dès la fin du deuxième jour de répétitions : tous ces jeunes ont déjà passés une première année à l’ESM et ils ont un très bon niveau. On a programmé trois repères, un début, un milieu et une fin et ensuite les musicien·nes proposent, un excellent travail s’est réalisé sur les nuances. »

Le concert commence, la première des évidences est la place prépondérante accordée au silence, une concentration palpable habite les intervenants disposés en cercle autour du public. La voix, premier organe destiné à produire des sons, va produire de nombreuses onomatopées, l’introduction se pare peu à peu d’une polyphonie qui par instants s’oriente dans des canons polyphoniques, l’enseignement porte ses fruits.

Stevo Atambire considère que dans son pays la population écoute toujours ses musiques en les considérant comme un enseignement.

La paire Lasfargues - Scarpa intervient et tranche dans le vif, la basse électrique bruitiste et les décompositions structurelles à la batterie offrent une confrontation réjouissante avec le corpus de l’orchestre. Des questionnements succèdent à des affirmations, sans cesse les interventions solistes superposées créent un climat où les tensions atteignent leur apogée dans un passage délivré avec un volume intense juste après l’intervention annonciatrice de la part d’une violoniste. Des fragments de Communications de Michael Mantler ressurgissent. Cette restitution a permis d’étoffer une création de paysages sonores inédite pour ces jeunes de l’EMS. Pari osé, pari gagné.

Place à la danse et aux dérivations folkloriques d’Alotsmen, mené par le musicien ghanéen Stevo Atambire. Spécialiste du kologo, instrument traditionnel à deux cordes montées sur un manche en bois fixé sur une calebasse servant de caisse de résonance. Ce musicien créatif manie les glissés de ton, des notes inhabituelles et syncopées, et inscrit le kologo dans la contemporanéité. Un album enregistré en 2021 pour Strut Records a popularisé cette formation très soudée. Stevo Atambire considère que, dans son pays, la population écoute toujours ses musiques en les considérant comme un enseignement. Les deux percussionnistes font déferler des polyrythmies complexes, le tambour dundun, frappé d’une baguette recourbée, délivre toute sa potentialité lorsque le musicien module les sons avec son coude resté libre. Souverain, le chanteur et joueur de goje, violon à deux cordes joué avec une corde d’arc sur un bol en calebasse recouvert d’une peau de lézard, contraste agréablement avec le groupe qui se déchaîne. Des échos de traditions maliennes, le reggae ou encore des zestes de rap se conjuguent astucieusement afin de servir de piste d’envol pour le public.

Stevo Atambire © Tribu Festival

Tout à la fois mélodiques et percussifs, Guembri Superstar et Lova Lova mettent Kinshasa à l’honneur. Depuis des années, le trio de musiciens français célèbre le jazz, le funk, les musiques africaines, sans oublier l’improvisation. Lova Lova, alias Maître Tonnerre, déclame et chante jusqu’à s’engager totalement dans une transe hypnotique. Clément Janinet fait forte impression avec son violon et sa mandoline, Clément Petit aborde le pizzicato au violoncelle comme un guerrier et Benjamin Flament irradie la scène avec ses percussions et sa batterie, Les refrains scandés, malaxés de façon répétitive agissent comme une potion magique sur le public qui danse avec une grande ferveur. C’est un ode à la modernité qui déferle sous les scansions d’airs ancestraux et d’un brassage d’influences venues de tout le continent africain. La fête bat son plein.

Comment ne pas penser à Fela Anikulapo Kuti, l’inventeur de l’afrobeat lorsque les racines ghanéennes de K.O.G, Kweku Of Ghana, se mettent à déverser une musique énergique et dansante où des airs scandés par les voix féminines et masculines mêlées sont reprises en chœur par l’auditoire. La guitare électrique se lance dans une course effrénée, la touche occidentale qu’elle installe se confronte à la basse vrombissante, quasi saturée. L’exploit qui consiste à unir le dub et le swing passe par les percussions et la voix de Kweku Sackey qui démontre qu’il a plus d’un tour dans son sac. Ecrivain prolifique, il chante également dans le projet afro-futuriste Onipa et participe aussi au groupe Nubiyan Twist. Ses talents d’orchestrateur et de conteur se déploient dans la salle bondée alors que le phrasé du saxophone sur les harmonies des thèmes comble la foule, entièrement acquise à cette musique plurielle.

Le festival Tribu continue de populariser les musiques du monde sans omettre de diffuser l’improvisation à son meilleur niveau. Salomé Joineau, Max Nolot et celles et ceux qui s’impliquent dans ce festival se doivent d’être remerciés. Toutes et tous ont contribué à faire rayonner des musiques issues de traditions séculaires et superbement réactualisées en terre dijonnaise.