Chronique

Erb, Weber, Künzi

Spazio Elle

Christoph Erb (ts, ss), Christian Weber (b), Emmanuel Künzi (d)

Label / Distribution : Veto Records

Nous sommes habitués ici depuis fort longtemps aux différentes tribulations du multianchiste suisse Christoph Erb et de son label Veto Records. Cela se fait assez naturellement dans sa collection Exchange, principalement liée aux rencontres transatlantiques, mais s’il voue son label « principal » à la promotion de talents aux confins des genres, il lui arrive de proposer sa propre musique, notamment lorsqu’il joue à domicile. Ce fut déjà le cas avec Emmanuel Künzi au sein d’EKL, un autre trio, sa forme basique, avec Raphaël Lohrer sur Dolores. Ici Künzi joue avec le climat de ce Spazio Elle en jouant beaucoup de ses cymbales, comme un tapis profond, pendant qu’Erb au soprano fait siffler ses anches et que Christian Weber tangue sur sa contrebasse entre pizzicati sculpteurs et lame de fond à l’archet.

Le compagnon bassiste d’Ellery Eskelin trouve lui aussi son bonheur dans le triangle. Sur le label Veto, on l’avait déjà entendu avec Christian Wolfarth, et récemment il a fait les beaux jours d’un autre combo suisse, The Workers, en quartet cette fois. Sur Spazio Elle, son rôle principal est d’affronter le jeu très dense d’Erb. Il n’y a pas d’animosité mais une vraie étreinte des masses ; à l’archet c’est évident, mais aussi sur un vrai échange nerveux à la toute fin de la première partie de la pièce. On pourrait penser que dans un tel rapport de force, Künzi se mette en retrait mais il n’en est rien. Lui même gagne peu à peu en puissance, égrainant les frappes avant de dompter la contrebasse en maîtrisant ses tambours. Le trio n’est jamais dans la rupture ; c’est une machine étonnante et soudée.

Pensé en termes de faces, conçu pour le vinyle, Spazio Elle repart d’abord dans une quiétude morcelée et abstraite, les slaps d’Erb tissant des mailles effilochées que la contrebasse tente de lustrer. Le saxophone ténor se fait peu à peu plus sûr de lui, occupant un espace délimité par la batterie. L’énergie de Christian Weber devient un puissant régulateur qui fait osciller un saxophone puissant. La musique de Spazio Elle devient un cœur vibrant, insistant sur l’aspect foncièrement charnel d’un orchestre aussi sensible qu’une peau à vif.

par Franpi Barriaux // Publié le 25 août 2024
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