Scènes

Grands Formats : rentrée avec le maillot jaune

La Fédération Grands Formats était l’invitée des Forums Jazz de Clermont-Ferrand organisés par Jazz(s)Ra


Wanderlust Orchestra © Franpi Barriaux

Deux ans. Voici deux ans que les membres de Grands Formats, la fédération - européenne désormais – des orchestres en grande formation, n’avaient pas pu faire leur traditionnelle rentrée, l’occasion de proposer sur scène un double plateau de membres de la fédération. Dans la belle salle de la Maison de la Culture de Clermont-Ferrand, à l’occasion du Forum Jazz organisé par Jazz(s)Ra [1], c’était le Wanderlust Orchestra de la chanteuse Ellinoa et la Marmite Infernale qui se présentaient, avant quelques concerts proposés par le Forum Jazz le lendemain.

Le projet d’Ellinoa est à la fois simple et ambitieux. Avec son Wanderlust Orchestra qui laisse une place de choix aux cordes au milieu d’une base rythmique puissante (deux batteries, Gabriel Westphall et Léo Danet, la contrebasse d’Arthur Henn, Paul Jarret en électron libre à la guitare), elle visite un texte écrit par Christèle Bakhache qui tient tout autant de la fable moderne que des récits dystopiques dans la pure tradition des romans d’anticipation urbains. La Ville Totale d’Ellinoa, c’est un récit d’émancipation, un heurt sur le mur cru - et forcément aussi froid et transparent que les murs des Monades Urbaines de Silverberg - de la pollution et de la déshumanisation. Un choc tellement puissant que ce plafond de verre se lézarde, et que vient l’utopie d’un état de Nature, un récit très cinématographique renforcé par la spatialisation du son. C’est l’exercice le plus fort de Ville Totale. Le son est travaillé en 3D, ce qui magnifie l’écriture particulièrement fine de la chanteuse. On perçoit nombre de détails, comme si ce mur qui se lézarde s’effritait en de multiples éclats. Une vitre qui se fendille dans le trombone de Paco Andreo ou le cor anglais de Balthazar Naturel, et qui se souffle comme une bulle d’air lorsque la voix versicolore d’Ellinoa prend son tour. Une expérience délicate et parfois poétiquement fragile, qui se permet un luxe de détails. Une musique que seul un Grand Format peut offrir.

Ellinoa © Franpi Barriaux

Avec La Marmite Infernale, le climat change énormément. Pourtant, certains détails sont similaires : deux batteries (Thibault Martin et Alfred Spirli), des cordes très souples (Clémence Cognet au violon, Colin Delzant au violoncelle) et une certaine idée de la magie. Humeurs et Vacillements, la nouvelle création de La Marmite, orchestre vénérable qui a toujours su se renouveler, est un spectacle de bateleur qui aime sortir du cadre et faire rêver : on joue avec des ballons et des plaques de métal, on théâtralise des tissus de couleur et des bols tibétains deviennent couronnes de bal. C’est un spectacle total, plein de rêves, mais qui ne perd jamais de vue l’efficacité. Autour de Guillaume Grenard à la trompette et Jean-Paul Autin au saxophone, l’orchestre est puissant, plein de profondeur et célèbre une vraie joie de jouer. La poésie est partout, jusque dans ce panégyrique à la note La, chanté dans un ping-pong plein d’humour, ou dans les passementeries créées entre la chanteuse Marie Nachury, une des trois maîtresses de cérémonie de cette joyeuse équipe, et le vibraphone toujours aussi délicieusement à propos de Mélissa Acchiardi. Pas loin de la capitale lyonnaise, et donc quasiment dans leur jardin, la bande de l’ARFI en son vaisseau amiral est de ces orchestres qui donnent le sourire, si important en ce moment. Un sourire qui fait aussi danser les pieds ; le bonheur en quelque sorte.

Marmite Infernale © Franpi Barriaux

Mais le temps fort de Clermont-Ferrand ne se limitait pas à Grands Formats, puisque l’hôte Jazz(s)ra profitait de la monumentale Maison de la Culture de la ville pour organiser ses traditionnels forums. Les thèmes, studieux, évoquaient, sous l’impulsion de Pierre Dugelay, directeur du Périscope de Lyon, la question de l’action culturelle selon les territoires, mais aussi l’actualité brûlante du Centre National de la Musique. Des show-cases étaient aussi organisés, comme pour mieux affirmer l’importance du (s) dans Jazz(s)ra. Car de Célia Kameni et son efficace quartet qui fit le bonheur des scolaires à l’impeccable prestation du Novo Quartet de Pascal Berne du collectif grenoblois La Forge, tous les jazz étaient de sortie, dans leur pluralité, leur complémentarité et leur plaisir de l’échange. En fin d’après-midi, à la Comédie de Clermont-Ferrand, belle scène nationale attenante, les Grands Formats clôturaient les travaux de la journée avec une discussion ouverte sur la musique en format XXL en présence des nouveaux orchestres européens adhérents de la fédération.
Présage de nombreuses découvertes à venir…

par Franpi Barriaux // Publié le 12 décembre 2021

[1Plateforme des acteurs du jazz en Auvergne-Rhône-Alpes, NDLR.