Chronique

Anker / Thomas / Flaten / Solberg

His Flight’s at Ten

Lotte Anker (as, ts), Pat Thomas (p), Ingebrigt Håker Flaten (b), Ståle Liavik Solberg (dms)

Label / Distribution : Iluso Records

Aucun vol n’est exempt de turbulences, ni pour certains d’angoisse. Cela fonctionne en trois temps : il y a la violente poussée du décollage, les éventuels trous d’airs une fois là-haut et le choc à peine amorti de l’atterrissage. Pour peu que les intempéries s’en mêlent, l’imprévu n’est jamais loin. Dans His Flight’s at Ten, la saxophoniste danoise Lotte Anker a prévu toutes les chausse-trappes possibles, accompagnée par un quartet européen rompu aux frottements et à la pression. Elle-même, avec Sylvie Courvoisier ou Fred Frith, sait entretenir une tension ; ici avec le pianiste anglais d’origine jamaïcaine Pat Thomas que nous avions pu découvrir au festival Umlaut, puissance et choc sont exacerbés et frontaux dans les premières minutes de « Departure », alors que l’alto se fracasse sur les coups de boutoir de la main droite, comme le kérosène se consume dans les moteurs.

La suite de l’équipage n’est pas en reste. La doublette rythmique est plutôt rompue à l’exercice des crashes, notamment le Norvégien Ståle Liavik Solberg qu’on avait pu apprécier avec le Pan Scan Ensemble de Pal Nilssen-Love, mais aussi avec Pascal Niggenkemper ou Steve Beresford. Dans « In Flight », deuxième étape logique de l’art aéronautique, le batteur est en charge de la gestion des dépressurisations soudaines, lorsque piano et saxophone s’enferrent dans des joutes frontales qui, au fil du temps, s’associent à des étreintes. Rupture de rythmes, passages des basses du piano aux tressautements de la main droite, le batteur use à la fois de toutes les surfaces du métal, mais aussi de l’étouffement des peaux, comme si chaque instant pouvait signifier la dislocation.

Ce serait compter sans le grand Ingebrigt Håker Flaten, qui fait le liant de tout ceci avec beaucoup d’autorité et parfois de virulence. Bien sûr, le contrebassiste de The Thing est présent dans la mêlée lorsque tout vibre à l’unisson dans « Departure ». Mais à bien des égards, c’est lui qui mène l’aéronef à bon port lorsque dans « Arrival » les remous font face à une sorte de sidération qu’il pourchasse en jouant au plus près du bois. Comme pour rappeler que tout, dans ce bel album paru sur le label Iluso Records, est question de surface et qu’il est bon d’y assolir, quelle que soit la planète !

par Franpi Barriaux // Publié le 7 octobre 2018
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