Chronique

Gard Nilssen’s Supersonic Orchestra

Family

Label / Distribution : We Jazz Records

S’il est un orchestre synonyme d’orgie et de gourmandise en Europe ces temps-ci, c’est bien le Supersonic Orchestra du batteur norvégien Gard Nilssen. Très attendu après le roboratif If You Listen Carefully…, on se demandait si l’alliance de percussionnistes (ici Håkon Mjåset Johansen et l’incroyable Hans Hulbækmo en surplus du leader) et de bassistes contondants (Ingebrigt Håker Flaten en compagnie, entre autres, de Petter Eldh), allait tenir la distance et renouveler la l’excitation du précédent album ; à l’écoute du très colemanien « Spending Time With Ludde », mélange gracieux et sautillant de free aventureux et de jazz plus normé, la question ne se pose plus guère : le Supersonic Orchestra est toujours cette force de frappe impressionnante qui fait sautiller le jazz européen. Des solistes comme Mette Rasmussen ou Signe Emmeluth ne viennent pas tirer la couverture à elles mais bien servir un propos collectif et bondissant.

C’est la profondeur de la musique de Gard Nilssen qui surprend d’abord, et qui célèbre cette vivacité de la scène nordique volontiers radicale, mais qui aime avant tout célébrer la joie de jouer ensemble. Avec « Boogie Stop Tǿffel », on perçoit vite l’influence forte de Brotherhood of Breath derrière le clin d’œil à Mingus, notamment pour cet alliage fascinant entre finesse et puissance : les batteries pourraient chercher le cataclysme, mais c’est une contrebasse qui mène la danse, la rythmique se faisant ajourée, pleine de rebondissements et d’élasticité. Idem pour les soufflants : avec la clarinette contrebasse de Per « Texas » Johansson et le saxophone baryton de Kjetil Mǿster, on pourrait penser que la parole commune est confisquée par une pulsation jouée à la découpe. Il n’en est rien.

Ce sont les moindres recoins qui intéressent le Supersonic. Ceux qu’on retrouve dans la douce introduction de « Dolphin Disco » aux allures presque baroques, les archets des contrebasses faisant une haie d’honneur aux anches. La mécanique qui se met en place ensuite change totalement d’époque pour évoquer une construction minimaliste, mais à la solidité éprouvée. Family n’a jamais aussi bien porté son nom, tant les musiciens, pourtant partiellement renouvelés, semblent heureux d’être ensemble et de jouer d’une même voix. Enregistré live - cet orchestre semble exister avant tout pour la scène - au Pays-Bas, le nouveau disque de l’orchestre de Gard Nilssen fait ce qu’on attend de lui, tout en se portant garant des surprises. On ne pouvait pas mieux espérer.

par Franpi Barriaux // Publié le 15 octobre 2023
P.-S. :

Gard Nilssen (dms, perc), André Roligheten (ts, bs, bcl, perc), Eirik Hegdal (ss, cms, perc), Per ”Texas” Johansson (ts, cbcl, cl, perc), Kjetil Møster (ts, bs, cl, perc), Mette Rasmussen, Maciej Obara, Signe Emmeluth (as, perc), Thomas Johansson, Goran Kajfes (tp, perc), Erik Johannessen, Guro Kvåle (tb, perc), Petter Eldh, Ole Morten Vågan, Ingebrigt Håker Flaten (b, perc), Håkon Mjåset Johansen, Hans Hulbækmo (dms, perc)