Chronique

Anne Magouët & David Chevallier

Emotional Landscapes

Label / Distribution : Soond

On excusera d’abord à l’auteur de cet article de prendre un point de vue qu’il n’utilise jamais ici, celui du je, absolument à proscrire dans une chronique de disque [1]. Je ne peux écouter ce disque de David Chevallier et Anne Magouët sans être étreint d’un nombre d’émotions et de souvenirs contradictoires. D’abord, évidemment, parce qu’Emotional Landscapes est sorti quelques jours avant la mort de la chanteuse Anne Magouët et que cet hybride entre les chansons de Björk qu’elle aimait et la musique ancienne qui était son univers esthétique lui ressemble tant que son souvenir est vivace. « Bachelorette », et cette guitare baroque qui croise la sacqueboute basse d’Abel Rohrbach et les percussions de Keyvan Chemirani, est un brillant exemple de ce concentré d’éternité qui laisse la place à « Music For The Funeral of Queen Mary » de Purcell, l’une des plus belles partitions de deuil. La gorge se serre.

Ce projet de David Chevallier et Anne Magouët, voici des années qu’ils le portent, qu’il mûrit, qu’il entrelace Baroque et Björk avec un naturel saisissant, aussi simple et beau que le serpent de Volny Hostiou, un des grands spécialistes de l’instrument. Enregistré à l’Abbaye de Noirlac, comme une évidence, Emotional Landscapes a aussi connu les dorures de l’auditorium rococo de la Chapelle Corneille à Rouen ; Björk y résonnait comme un bijou dans son écrin par la voix d’Anne Magouët et les violes d’Atsushi Sakai et Marion Martineau comme par la flûte de Judith Pacquier. J’ai toujours une tendresse particulière pour ce travail car Björk est sans doute au centre de mes amours musicales que ce projet met en perspective ; plus que de la déconstruction, c’est de la mise en relief. La création d’une nouvelle dimension où ranger des affinités électives. « Pneumonia », que Björk fit paraître sur le mineur Volta, est une illustration de ce nouveau domaine, l’orchestre réuni par Chevallier dessinant à fins traits des paysages chaleureux d’étendues glacées. Fascinant paradoxe.

Paru sur le label belge Soond, petite mine de musique expérimentale sans œillères, Emotional Landscapes a été une aventure en elle-même, entre difficulté à obtenir l’aval de l’Islandaise et manque de courage - et d’oreille - de quantité de maisons de disques. Comme toutes les aventures, elle est pleine de reliefs et d’ascenseurs émotionnels. Le résultat est de ceux qui maturent. Il en ressort d’abord un concentré de chaleur et de joie qui ressemble, je crois, à ce qu’était intimement Anne Magouët. Il y a aussi cette démonstration éclatante de la richesse de la musique de Björk, de sa capacité à conserver sa magie dans un contexte de musique ancienne, sans que rien ne soit factice.

par Franpi Barriaux // Publié le 16 mars 2025
P.-S. :

Anne Magouët (voc, vla), Judith Pacquier (cnt, fl), Marion Martineau, Atsushi Sakai (viole), Alexis Lahens, Abel Rohrbach (sacqueboutes), Volny Hostiou (serpent, cnt), Keyvan Chemirani (perc), David Chevallier (g, theorbe)

[1Car doublement inintéressant. Le but, c’est de convaincre le lecteur d’écouter une œuvre, et de lui offrir des pistes et des prémices d’émotions. Raconter ma vie n’a absolument aucun intérêt.