Chronique

Aum Grand Ensemble

Silere

Label / Distribution : Onze heures onze

Avec son quartet WATT, le clarinettiste Julien Pontvianne a déjà montré qu’il sait s’y prendre en matière d’étirement des sons quand il s’agit d’aller quérir leur essence brute, leur vivacité, leur profondeur. Le moindre mouvement, fût-il imperceptible, devenait alors une vague qui irriguait tout le paysage. Avec l’Aum Grand Ensemble, ce même climat très particulier s’immisce dans l’éther que Pontvianne travaille en compagnie de douze autres musiciens. S’y ajoute Dylan Corlay qui dirige ce mouvement de masse conçu comme une longue suite où l’on retrouve les comparses de WATT Jean-Brice Godet et Antonin-Tri Hoang (seul Jean Dousteyssier manque à l’appel) et de nombreux musiciens membres du collectif parisien Onze Heures Onze, parmi lesquels Julien Loutelier à la batterie ou Richard Comte à la guitare.

Silere : se taire, faire silence. Le mot vient du latin. Pas évident quand la dynamique de l’orchestre frise le chaos dans l’insistance de « Silere, Part 2 » qui vire insensiblement au bruit blanc. Mais tout comme le vent, le tumulte naît de la plus petite brise. C’est elle qui domine cette fresque aux accents naturalistes. Un souffle dans les arbres, qui les caresse doucement et peut en un instant les plier avec violence. On entre dans cet univers comme on sombre dans la rêverie, cerné par les sons, attentif à chaque nouvelle nappe qui vient se superposer à la précédente selon une architecture extrêmement précise. Au centre de tout cela, la voix douce et légèrement désincarnée d’Anne-Marie Jean incarne une sorte d’esprit insaisissable, telle une flamme. Elle vient intimer des directions à la masse du silence à force de mots brefs ou de phrases susurrées (le long « Silere, Part 3 ») ; voilà qui fera très vite songer à Lynn Cassiers dans Octurn et surtout dans le Trees Are Always Right de Jozef Dumoulin, indubitablement l’une des influences majeures de cet Aum Grand Ensemble.

Ce n’est guère surprenant. A l’image de son aîné belge, Pontvianne est très influencé par les têtes chercheuses (Sonic Youth, Pink Floyd), mais aussi par un pan non négligeable de l’électronique minimaliste. On décèle également dans « Silere, Part 5 » l’usage de deux Rhodes (Paul Lay, Tony Paeleman) assez proche des expérimentations de Dumoulin. Ce ne sont pas les seules graines qui ont servi à raffiner cet éther. La multiplicité des timbres conduit à leur altération et à leur combinaison.

Cette profusion les transforme en une matière que l’orchestre malaxe ; on pense au courant de la musique contemporaine qui s’est passionné pour l’électronique. Parfois, un simple détail peut faire vriller l’ensemble : un cliquetis de clarinette, un vibraphone qui carillonne, indolent… Rien, cependant, ne le détourne de son sillon. Silere est un rêve éveillé qui demande du temps, de la concentration, et une forme d’abandon difficile à mobiliser, mais qui vous transporte littéralement dans des dimensions insoupçonnées.

par Franpi Barriaux // Publié le 4 octobre 2015
P.-S. :

Julien Pontvianne (ts, cl, bcl, comp), Antonin-Tri Hoang (cl, bcl, as), Jean-Brice Godet (cl, bcl), Anne-Marie Jean (voc), Amélie Grould (vib), Romain Lay (vib), Richard Comte (g), Paul Lay (cla), Tony Paeleman (cla), Youen Cadiou (b), Simon Tailleu (b), Julien Loutelier (dms), Alexandre Herer (elec, fx), Dylan Corlay (dir)