Chronique

Trevor Dunn’s Trio-Convulsant avec Folie à Quatre

Séances

Trevor Dunn (b), Mary Halvorson (g), Ches Smith (dms, perc), Anna Webber (fl), Oscar Noriega (cl, bcl), Mariel Roberts (cello), Carla Khilstedt (vln, vla)

C’est long, dix-huit ans. C’est pourtant le temps qu’il aura fallu au contrebassiste Trevor Dunn pour réunir de nouveau son Trio-Convulsant qui fut pour beaucoup dans l’aura de la guitariste Mary Halvorson en 2004. Imaginez : la jeune musicienne a 24 ans lorsqu’elle enregistre avec le bassiste de Mr. Bungle et de Secret Chief 3, proche de John Zorn. C’est à dire 3 ans avant son travail en profondeur avec Anthony Braxton ou son Crackleknob qui marque un point de départ évident. Dunn, en 2004, fait un pari gagnant avec Sister Phantom Owl Fish : Trio-Convulsant existe depuis 1998, mais il décide d’en changer tous les membres, et c’est le batteur Ches Smith qui clôt le triangle. Dix-huit années plus tard, le constat est sans appel : les deux débutants sont devenus des incontournables de nos musiques. A ce titre, Séances est davantage qu’un album de retrouvailles. Il y a quelques mois, le titre « Saint Médard » avait annoncé l’album avec une certaine excitation, et pour cause : à la puissance inouïe du trio se rajoutait Folie à quatre, un quartet de circonstance où l’on trouvait notamment une autre tête d’affiche, la flûtiste Anna Webber.

Inutile de s’abonner à Rustica pour le savoir : quand il pleut à la Saint Médard, il pleut quarante jours plus tard, et là c’est l’énergie qui fait déluge. Mariel Roberts et Carla Kihlstedt (aperçue avec Satoko Fujii) sont les cordes du quatuor qui travaillent à merveille avec la guitare toujours très bâtisseuse de Mary Halvorson, qui s’épanouit décidément avec les cordes, comme on avait pu le constater lors de son récent diptyque. C’est une mécanique subtile qui se met en route, à laquelle s’ajoute la clarinette basse d’Oscar Noriega, un travail de timbre d’une grande richesse où la basse étonnamment placide de Dunn (« Restore All Things ») construit de très beaux écrins avec la batterie de Smith. Qu’on ne s’y trompe pas, le Trio-Convulsant fonctionne toujours en soudaines poussées de fièvre. Et lorsque ce n’est pas la batterie qui s’emballe, c’est Halvorson qui acidifie les débats en s’appuyant sur le violoncelle de Roberts (« 1733 »), vite suivie par un emballement général.

L’entente entre la plupart des musiciens est ancienne : Halvorson et Webber ont enregistré ensemble, Noriega tenait un trio avec la guitariste et Ches Smith dès 2008, et Trevor Dunn utilise cette complicité avec une jubilation certaine. Toujours dans « 1733 », le batteur s’offre un passage aux percussions dans un instant suspendu, comme sorti du chaos, où il dialogue avec la clarinette et le violon de Khilstedt ; le bassiste active tous les dispositifs de tension possibles avec le soutien de la guitare, et le Trio-Convulsant revient à ce pouls qui s’accélère, cet état particulier qui laisse sur un constant qui-vive, même si « The Asylum’s Guilt » qui suit est davantage perçue comme une douceur inquiète où Webber et Halvorson fusionnent leurs timbres pour converser avec la clarinette basse. Le Trio-Convulsant avait manqué au paysage, c’est une évidence. Mais bien plus qu’une nostalgie, c’est le talent d’écriture de Trevor Dunn, et surtout sa finesse qui impressionne, témoin « Eschatology », sorte de précipité de cette musique toujours sur le fil où la guitare de Mary Halvorson brille de mille feux. Un beau cadeau de fin d’année que nous propose Pyroclastic Records.

par Franpi Barriaux // Publié le 11 décembre 2022
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