Chronique

Ballister

Znachki Stilyag

Dave Rempis (as, ts), Fred Lonberg-Holm (cello, elec), Paal Nilssen-Love (dms)

Label / Distribution : Aerophonic

Il y a dix ans, paraissait Bastard Strings, un monument pour ceux qu’a toujours excités la musique hirsute et revêche qui plonge des doigts insatiables dans la chair du free jazz. En 2010, le trio composé de Dave Rempis à l’alto et au ténor, Fred Lonberg-Holm au violoncelle et dispositifs électroniques et Paal Nilssen-Love à la batterie n’avait pas la même aura qu’ils ont désormais individuellement. C’est ce qui confère à chacune des nouvelles rencontres de Ballister un statut particulier, très attendu, comme pour mesurer la rage alentour et la capacité de saturation d’un triangle qui a transcendé toutes les interrogations sur le statut du Power Trio. La puissance est là, sans conteste. Elle suppure comme un brûlant acide du ténor de Rempis, lancé comme une balle à la rencontre du violoncelle, sous les frappes sourdes de Nilssen-Love dans les premières minutes de « Fuck The Money Changers », long titre inaugural.

Sans filet, telles sont les prises de risque des membres de Ballister. Pendant la demi-heure que dure le premier morceau, on a le sentiment d’une longue glissade vers un noyau irradiant sur une piste faite d’aspérités et de virages anguleux où les oasis de calme sont rares. Quand elles arrivent, elles sont presque rendues malsaines par la tension ambiante. De ces malaises dans lesquels on aime se noyer. Dans ces moments-là, c’est la batterie qui fait tonner une menace lointaine, et qui laisse Lonberg-Holm œuvrer à de sombres abstractions. La musique de Ballister est toujours sur un fil qui se tend jusqu’au point de rupture, et dont Rempis est le vrombissant moteur. Son saxophone aussi teste ses limites ; elles éclatent parfois dans de profondes stridences qui donnent un peu plus de corps à ce nouvel album. On en a un autre brillant exemple sur « Hotel Mary Poppins » où le saxophone mène la danse, flanqué de ses compagnons qui font front et frôlent l’implosion.

Enregistré il y a un an à Moscou pour le label Aerophonic, Znachki Stilyag est un pavé dans la mare comme on les aime. Tendu, irrespirable parfois mais jamais musculeux ou inutilement puissant. Ce n’est pas du gros son que nous propose là le trio, c’est au contraire une agilité et une célérité qui rendent tout joyeusement imprévisible, peut-être moins virulent que ne l’était Worse For Wear, un précédent album de l’orchestre paru sur le même label il y a cinq ans. Mais indéniablement elle y a gagné en maturité. De celle qui n’a rien à voir avec la prudence.

par Franpi Barriaux // Publié le 17 janvier 2021
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