Chronique

Camila Nebbia & Tomomi Kubo

Polycephaly

Camila Nebbia (ts, elec, voc), Tomomi Kubo (ondes Martenot)

Label / Distribution : Tripticks Tapes

Rare spécialiste mondiale des Ondes Martenot, cet instrument des fréquences impalpables, la Japonaise Tomomi Kubo est installée désormais à Barcelone, après avoir étudié son instrument en France. C’est à l’occasion du séjour en Europe de la saxophoniste Camila Nebbia que les deux musiciennes se sont rencontrées, presque naturellement. Dans sa musique, Nebbia a déjà montré qu’elle aimait tout particulièrement l’électronique, surtout dans un contexte très abstrait qui joue énormément sur l’espace ; dans un morceau comme « Nyx », on est pleinement servi. Kubo monte progressivement en pression pendant que l’Argentine joue avec ses clés ou donne de la voix, ce dialogue intense et intérieur qu’on avait déjà entendu avec son quartet. Les deux artistes semblent prendre de l’importance à mesure que le morceau se déroule. Elles ne s’opposent cependant pas : elles se combinent, le saxophone prenant sa part dans le flot continu.

L’usage de samplers joue énormément dans ce sentiment de densité. Dans « The Cretan Labyrinth », la dureté de la nappe épaisse proposée par Kubo en est le parfait exemple : le son devient plus sombre et inquiétant, et c’est souvent dans ce contexte que Nebbia se plaît à jouer les équilibristes. Son ténor lui aussi se leste de rocaille pendant que sa vis-à-vis sonde des ambiances dignes de films d’horreur des années 50. Tout ceci est parfaitement intranquille : un biotope dans lequel Camila Nebbia évolue à merveille. C’est sans doute le seul morceau où les ondes Martenot font ce qu’on attend d’elles, loin du cataclysme initial entendu dans « Anemone », où l’on a parfois l’impression que le saxophone se noie dans des eaux turbides, sans répit.

Rencontre radicale, Polycephaly célèbre le son pensé comme une vague gigantesque, un tsunami qui nous emporte aussitôt que les deux artistes joue à la même intensité, montant progressivement en pression, à l’instar de « Elyseum » qui offre encore une fois à Nebbia l’occasion de montrer tout son talent. Après un récent quartet avec Susana Santos Silva, la saxophoniste argentine nous propose un nouvel avatar de sa discographie comparable à nulle autre, et qui dessine une personnalité rare dans le paysage du jazz mondial.

par Franpi Barriaux // Publié le 5 mars 2023
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