Tribune

Parker & Chamoiseau, lettres et le sens

Une correspondance unique entre le contrebassiste William Parker et l’écrivain Patrick Chamoiseau.


William Parker, photo Christian Taillemite

Le Festival Sons d’hiver déroule sa programmation sur le sud-ouest de la périphérie parisienne, pour une édition certainement moins chamboulée que l’année dernière ; une plateforme numérique vient ajouter du contenu, et du sens, à une volonté de diffuser la musique de manière complémentaire. Porte d’entrée du festival, elle est aussi un endroit, en version numérique où l’on rencontre, et rend compte, d’une actualité musicale. Particulièrement riche pour cette mise en place puisque on y découvre une correspondance en cours entre le contrebassiste William Parker et l’écrivain Patrick Chamoiseau.

Toutes sortes de monde est un montage sonore réalisée par Sylvaine Hélary qui, à partir de l’idée de chaos, amalgame quelques citations parlées de scientifiques, philosophes (Hubert Reeves, Etienne Klein, Gilles Deleuze, …) et rappelle le travail qu’elle a mené autour de Printemps (paru chez Ayler Records). Rob Mazurek donne un entretien entièrement lisible sur le site où il évoque notamment son Exploding Star Orchestra particulièrement apprécié ici. Ailleurs, ce sont quelques photos de Jacques Bisceglia exposées au Kremlin-Bicêtre qui viennent compléter le site.

Les contenus ne se révèlent qu’au fur et à mesure des dates, la plateforme est plaisante à visiter, et prometteuse. La correspondance initiée entre deux grandes figures de la création actuelle complète avec originalité cette initiative qui inscrit l’élan du festival dans le versant numérique en l’implantant dans une forme de pérennité. Sur une proposition d’Alexandre Pierrepont (connu pour son travail sur l’AACM et artisan de la mise en place du dispositif The Bridge), le contrebassiste William Parker, chantre d’une musique afro-américaine axée autour de la free-music, et l’écrivain francophone Patrick Chamoiseau, né en Martinique, prix Goncourt et surtout grand penseur de la créolité, échangent une correspondance depuis le mois de décembre dernier.

Seulement cinq lettres, datées du 17 novembre au 11 janvier, mais la profondeur de leur propos est déjà une nourriture propice à la réflexion et à la méditation. Avec fraternité, politesse au départ, ils finissent par trouver une confluence naturelle à leur manière d’être au monde. Échangeant avec gravité, densité tout au moins, sur le monde tel qu’il est, tel qu’il va, le monde d’où il vient, philosophant sur les arts, la musique en particulier, ce sont deux âmes anciennes qui dialoguent.

Poètes des sons et poètes des mots, vivant l’africanité avec leur vécu propre, celui d’un Américain, citoyen d’un pays conquérant et schizophrène, et celui d’un Îlien, français d’Outre-mer qui, par sa prose puissante, cherche à dépasser les effets de la colonisation avec intelligence et sensibilité. Les phrases lyriques, chargées d’images, pour l’un, les phrases ancrées dans le quotidien pour l’autre, témoignent d’identités différentes. L’entrechoc, cependant, génère une tension qui, sans volonté initiale, fait œuvre et crée un flux de pensée original d’une force peu commune.