Chronique

Charles Lloyd New Quartet

Passin’ Thru

Charles Lloyd (ts, f), Jason Moran (p), Eric Harland (d), Reuben Rogers (b)

Label / Distribution : Blue Note

Ce nouvel album de Charles Lloyd – enregistré en live à Montreux en 2017 – contient nombre d’anciennes compositions, notamment « Dream Weaver » qui débute le disque. Pourtant un auditeur non averti pourrait si méprendre tant la patte coltranienne du quartet de Lloyd est flagrante. On y verrait presque une version inédite de « A Love Supreme ». Il ne s’agit toutefois pas d’un copié-collé. Il y a cette touche personnelle, ce petit « je ne sais quoi », ce « presque rien » qui fait de l’album celui d’un très grand musicien. Charles Lloyd a emmagasiné du Coltrane au point qu’il en connait, non seulement la grammaire et la syntaxe, mais qu’il sait se jouer des nuances, des phrases, des rimes… tout en jouant une musique strictement personnelle. Un tour de passe-passe que peu de musiciens peuvent réaliser avec autant de génie. Le morceau dure en outre près de dix-huit minutes, c’est dire si l’on a le loisir d’en saisir toutes les saveurs. En outre, si le saxophoniste ténor occupe une place considérable, on notera que le jeu de Jason Moran, Eric Harland et Reuben Rogers qui composent le quartet depuis dix ans maintenant est du même acabit, ainsi qu’en témoigne, entre autres, le chorus de contrebasse qui clôt ce « Dream Weaver ».

Néanmoins, si l’entrée en la matière est fantastique, il serait réducteur de ne retenir que cette longue introduction coltranienne. On retrouve en effet d’un bout à l’autre de cet album tout ce qui fait le miel de la musique de Lloyd. Une gourmandise mystique faite de phrases en apparence simplissimes et qui, lors d’une écoute attentive, se révèlent constituées d’une multitude de notes mettant en exergue celles qu’il faut retenir. C’est particulièrement flagrant sur le susurrant « How Can I Tell You ». La ballade semble évidente et pourtant, si l’on essaie de la siffler à l’unisson avec le saxophoniste ténor, on se heurte à une difficulté insurmontable. Les riffs, les phrases – si courts soit-ils – sont constitués d’une farandole de notes qui donnent volume et consistance. Avec son sens de la ponctuation, Charles Lloyd sème les éventuels suiveurs. Cette marque de fabrique se retrouve dans chacun de ses albums, celui-ci ne dérogeant pas à la règle, et c’est toujours un régal.