Sur la platine

Circum fait tourner les têtes : les sorties de mai


Le label Circum-Disc est particulièrement prolifique ce printemps. Cinq nouveautés viennent enrichir son catalogue et illustre avec perspicacité l’enthousiasme des musiciens lillois (mais pas uniquement) à investir des territoires hors-champ. Pour qui souhaite s’aventurer vers les ailleurs les plus électrisants, il suffit de suivre le guide.

Murmur metal / Maelström
En dépit du débordement sonore, ce disque est le projet d’un seul homme. David Bausseron est guitariste au sein du collectif Muzzix (on a pu l’entendre dans les excellents La Pieuvre et Feldspath) mais il joue ici de toutes sortes d’instruments autres que sa guitare. Si le titre du disque flanqué de son nom d’artiste évoque le Metal Machine Music de Lou Reed, Maelström se situe, effectivement, dans le registre du bruitisme. Ce ne sont que couvercles, paille de fer, boîte en fer blanc, scie à bois, socle de lampe halogène, bref, des objets, pourvu qu’ils soient métalliques.

Enregistré en 2013 et 2018, l’univers déployé est étonnamment immédiat. Les matériaux mis en vibration exercent une fascination qui interroge sur la manière de les faire entrer en résonance et la puissance (pas seulement au niveau du volume mais au sens tellurique) qui s’en dégage. Avec une maîtrise notable dans la finesse de la progression sonore pour des objets à la maniabilité certainement sommaire, David Bausseron nous accompagne dans un monde qui évoque des territoires sauvages. Le métal pourrait laisser entendre un ode à l’ère industrielle et sa mécanisation ; on est au contraire bien en-deçà, avant l’humanité. Aux premiers temps de notre vieille terre, quand des montagnes émergentes roulaient des pierres qui se fracassaient dans des océans déchaînés.

Peter Orins / VRTN & VBRTN
La démarche est proche quoique plus diaphane. Le batteur Peter Orins (pilier du label et le O du groupe TOC) propose un traitement atypique de la batterie articulé en deux parties. VRTN est une pièce d’une demi-heure où il travaille en temps réel, grâce à des effets électroniques, le son de l’instrument. L’utilisant comme un générateur de timbres inattendus, il construit un continuum qui ondule avec finesse, traversé toutefois d’événements soudains mais jamais violents. Les harmoniques emplissent l’espace et créent un bain amniotique lacéré de griffes métalliques et d’effets de saturation maîtrisés. Le batteur disparaît derrière ce mouvement lancinant qu’il initie et, au lieu de ce que son instrument pourrait suggérer, se débarrasse du rythme au bénéfice d’un état évolutif fragile qui ne tient que par la tension, maintenue jusqu’à la fin dans un tour de force réussi.

Dans VBRTN, Peter Orins n’est que avec sa batterie. La cymbale est plus clairement perceptible, de même que les toms. Pour autant, il continue à déconstruire l’attendu pour investir à nouveau des plages homogènes et progressives qui donnent des aspects machiniques à la performance. Le son gagne peu à peu en volume et des micro-variations naissent puis s’éteignent. Des scintillements parsèment le parcours et ces illusions auditives stimulent un imaginaire qui transporte l’attention sans la coloniser, lui donnant l’élan nécessaire pour se mettre elle aussi en mouvement.

Le Bruit des Dofs / La Combinatronique
Dans un registre totalement différent, le trio Le Bruit des Dofs est mené par le guitariste Jean-Louis Morais. Ancien Rémois installé à Lille, où il côtoie la basse d’Olivier Verhaeghe et la batterie de Charles Duytschaever, il fonde son trio en 2001. Évoluant dans une approche très rock - post-rock si ce terme veut encore dire quelque chose, on entend une guitare électrique qui s’appuie sur une batterie profonde et largement binaire, secouée par une basse électrique roulant des riffs efficaces.

Les compositions sont obsédantes mais toujours parfaitement travaillées pour apporter un éclairage nouveau à des morceaux tortueux et au long cours. Entre son clair tournoyant et saturation libératrice, on n’est jamais dans le « jouage » individualiste ; plutôt dans l’énergie collective. Les lignes se croisent, se répondent et avancent parfois tel un mur lasuré de textures chromées qui peuvent rappeler le travail de David Torn. Le trio vous happe littéralement et, à l’écouter en voiture, donne envie de rouler vite (ce qui n’est évidemment pas recommandé). Le titre “La Danse des Dofs” est un tube.

Banausoi / Imagines
On a découvert dernièrement le trompettiste et clarinettiste tchèque Petr Vrba dans un disque déjà signé chez Circum-Disc. Triche le voyait déjà évoluer en trio au côté du Canadien Eric Normand et du Français Mathias Müller. Avec Banausoi, il présente cette fois un orchestre tchéco-slovaque. Au côté de Václav Šafka à la batterie et Ondrej Zajac à la guitare et à la voix, le trompettiste déroule une musique tendue et cabossée. La trompette affronte une guitare dans des zones aux frontières du déchirement, bousculée par une batterie dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle frappe fort.

Quand ils ne cherchent pas à superposer leurs sons dans une matière épaisse, le trio joue des attaques et des revers. Avec un parti pris de dépouillement au niveau des propositions mais avec un enthousiasme et une juvénilité qui emportent, Imagines apporte même, pour peu qu’on ait les oreilles suffisamment ouvertes, un peu de fraîcheur dans une esthétique parfois compassée.

Adoct / Ouvre-glace
Deux trios en un, retrouvez la chronique ici.