Scènes

Rencontres AJC à La Dynamo

Compte rendu des concerts et rencontres destinées à présenter le jazz français.


Les Rencontres AJC sont le rendez-vous annuel des festivals et clubs français, organisé par le principal organisme de soutien et de promotion du jazz français, l’AJC. Comme toujours, ce qui ressort le plus clairement, ce n’est pas seulement la façon dont les Français font les choses, mais l’idée plus générale que l’enthousiasme musical commun peut aider à construire des communautés.
En témoigne le fait que France Musique a enregistré tous les concerts et a consacré deux soirs de suite son émission phare Open Jazz, diffusée à 18 heures, à l’événement, avec Alex Dutilh, animateur légendaire et son équipe, qui l’ont retransmis en direct.

Les choses ne sont pas toujours vraiment réjouissantes pour le monde des arts. De manière très négative, les coupes budgétaires dans le domaine de l’art se font ressentir. Le président de l’AJC, Philippe Ochem, a rappelé dans son discours de bienvenue que le lieu où se déroulent les Rencontres - la Dynamo à Pantin - était fermé depuis quelques mois et que l’ensemble de sa programmation avait été annulée. Il a été remis en service temporairement, juste pour ces trois jours.

Et il y a eu, pour moi au moins, une déception : la table ronde du troisième jour qui portait le titre prometteur de « Réinventer collectivement la distribution de la musique ». Mais comparée à certaines sessions intéressantes et animées de ces dernières années, celle-ci était absconse, à la limite de l’impénétrable, du moins de mon point de vue de visiteur qui ne suit pas ces choses de manière régulière et détaillée. La session était principalement axée sur le décryptage des incitations financières spécifiques accordées par les financeurs publics français afin de soutenir et d’encourager le passage au zéro carbone. Sauf si j’ai manqué quelque chose de vraiment passionnant ?

Concerts

Un moment fort de la deuxième soirée a été le sextet transfrontalier franco-allemand « Thérapie de Couple » de Daniel Erdmann.

Thérapie de Couple © Maxime François

C’est déjà la troisième fois que je les entends et je ne peux que vous recommander ce groupe de toute urgence. Ils étaient à Brême en avril dernier, puis à Berlin au festival Jazzdor…. leurs prestations ne cessent de s’améliorer. Les six musiciens sont tous capables de se donner à fond et de fournir une énergie débordante dans leurs solos, et chacun s’entend visiblement très bien avec les autres membres du groupe. L’écriture d’Erdmann les pousse vers un travail d’équipe très serré, qu’ils semblent également apprécier beaucoup.
La clé de ce groupe est la qualité de chaque musicien, ainsi que la force des personnalités impliquées. Personne n’est intimidé. On s’attend évidemment à ce que chaque membre fasse une intervention remarquée dans son solo. Et c’est ce que chacun a fait. Il faut un chef d’orchestre fort pour vouloir cet esprit rebelle autour de lui et c’est ce qu’Erdmann exploite de plus en plus avec ce groupe. « Thérapie de Couple » va sans doute enregistrer ce répertoire d’ici peu. En enquêtant un peu sur le sujet, on m’a répondu que oui, cela se fera un jour, mais que pour l’instant, « c’est compliqué ».

Le succès de ce groupe a par ailleurs entraîné des conséquences : L’AJC va commencer à solliciter des candidatures d’autres groupes ayant un élément français et européen [1]. Elle soutiendra activement trois ou quatre groupes de ce type.

Kit Downes © Maxime François

Le thème de la collaboration entre musiciens français ou basés en France et d’autres musiciens européens a été le fil conducteur de la deuxième soirée de concerts. « Shadowlands » étaient de la partie. Il s’agit d’un projet en trio avec Robin Fincker (saxophone ténor et clarinette), Lauren Kinsella (voix) et Kit Downes (orgue Hammond et piano). Le programme, joué en segments continus plutôt que morceau par morceau, permet aux trois interprètes de travailler la musique, mais aussi les espaces entre les morceaux et autour. Lauren Kinsella chante des chansons populaires de différentes époques et les façonne de manière puissante et subtile, offrant un cadre autour duquel les autres interprètes peuvent explorer librement et partir à l’aventure. Kit Downes trouve toujours d’étonnantes couleurs sonores qui sommeillent dans les orgues, qu’elles soient d’église ou, comme ici, un Hammond. Robin Fincker est un musicien subtil, inventif, réfléchi, de grande classe. Un album est déjà enregistré et prêt à sortir. Il sortira au printemps prochain sur le label hongrois BMC. J’ai réussi à m’en procurer un exemplaire : c’est un délice.

Nous avons également entendu le trio de la pianiste estonienne Kirke Karja, pleine d’entrain et de percussions, avec le bassiste français Étienne Renard et le batteur allemand Ludwig Wandlinger.

Clémence Lagier et Valeria Vitrano © Maxime François

Le premier soir, nous avons entendu les quatre groupes issus de l’actuelle neuvième promotion du programme « Jazz Migration ». Ce projet produit par l’AJC et plusieurs de ses membres qui accompagnent et soutiennent les groupes et veillent à ce qu’ils aient la possibilité de se produire dans plusieurs festivals et clubs. Un modèle de ce qu’une communauté solidaire peut réaliser.

Tous dirigés par des femmes, ces quatre groupes en sont à des stades différents de leur « émergence » des conservatoires et de leur approche complexe de la dure réalité du terrain. Il n’y a pas assez de place ici pour mentionner les deux groupes qui restent à l’esprit. Le quatuor INUI est très extraverti, mené par les deux chanteuses dynamiques et énergiques Clémence Lagier et Valeria Vitrano, tandis que le quatuor dirigé par la violoncelliste Adèle Viret est beaucoup plus orienté vers la musique de chambre et la réflexion.

Adèle Viret © Maxime François

Adèle Viret est la fille du célèbre contrebassiste de jazz français Jean-Philippe Viret, et elle travaille en étroite collaboration avec son frère trompettiste Oscar Viret. Les deux, frère et sœur, bénéficient de la richesse de leur familiarité musicale. Il s’agit d’un type particulier de création musicale, d’un type de collaboration qui peut conduire à des histoires fascinantes, à des convergences et à des ententes, et il existe de nombreux autres exemples dans le domaine du jazz. Le fait est, cependant, qu’une telle qualité artistique nécessite une écoute concentrée.
Les longues périodes de concentration sur la musique demandent de la patience, alors qu’INUI a un charme immédiat, et sera très certainement le groupe qui, parmi les quatre, bénéficiera le plus de ce projet.