Entretien

David Chevallier

David Chevallier est un guitariste qui aime à chambouler les styles et à n’être jamais où on l’attend. Aujourd’hui c’est aux standards de jazz qu’il s’attaque avec un nouveau trio.

David Chevallier est un guitariste qui aime à chambouler les styles et à n’être jamais où on l’attend. Inlassablement, il visite et commente des expressions musicales d’apparence aussi diverses que la musique ancienne ou la pop des années 70-80. Aujourd’hui c’est aux standards de jazz qu’il s’attaque avec un nouveau trio. L’occasion de parler de Brubeck, de théorbe, de Björk ou encore de Légos...

- Comment est venue l’envie d’enregistrer Standards et Avatars ?

A l’instar de tous les autres propositions, c’est une lente maturation ; et c’est vrai que c’est une chose que je n’aurais pas imaginé enregistrer il y a quelques années. Mais après avoir mené des expériences dans de nombreuses directions, je me suis rendu compte que je n’avais jamais abordé un sujet « jazz » alors que c’est quand même le dénominateur commun à l’ensemble de mes répertoires. Il y avait de l’improvisation, des musiciens de jazz mais le sujet n’avait jamais été celui-ci. Par ailleurs, il y avait longtemps que je ne m’étais pas trouvé dans un rôle de soliste avec une rythmique basse/batterie derrière moi. Je m’étais même évertué à éviter ça par tous les moyens, par exemple en remplaçant la basse par un tuba ou par un violoncelle. La dernière fois c’était en 2001 avec Des Nouvelles de Buzzati. Et encore, il s’agissait d’une grande formation avec comédien... La guitare n’était pas en avant.

- Alors, c’est un disque et un spectacle basse, batterie et standards, en quelque sorte ?

David Chevallier © Franpi Barriaux

Oui, je me suis dit que je voulais réessayer ça avec le filtre des années, à l’aune du style que j’ai développé. Au-delà de ça, il y a longtemps que je voulais travailler avec Sébastien Boisseau, que j’avais rencontré lorsqu’il était adolescent ! Je lui ai proposé de bâtir un trio en lui laissant le choix du batteur. Il m’a dit adorer jouer avec Christophe Lavergne. Je le connaissais à peine, je ne savais pas, par exemple, qu’il jouait dans Francis et ses Peintres. Mais je lui ai fait confiance... À juste titre. Dès les premières notes de la première répétition, j’ai su que ça aller marcher !

- Que vous apporte cette nouvelle rythmique ?

Je suis comblé. C’est, d’une part, un très grand confort de jeu : ils sont solides et en osmose. Ils adorent jouer ensemble et ça se voit. Se poser sur cette rythmique est un cadeau. D’autre part, ils sont absolument à l’écoute et réactifs. Ils te suivent où tu veux, c’est incroyable. Je redécouvre avec jubilation les plaisir du trio avec basse et batterie. Avec ces deux musiciens, on peut partir dans toutes les directions.

- En quoi ton approche, sur Standards et Avatars, est-elle différente de celle d’Is That Pop Music ?!? ?

Je ne fonctionne pas différemment. Le processus est le même quel que soit le matériau de départ. Ce qui est différent cette fois, c’est que je suis parti de l’instrument. J’ai joué les morceaux et trouvé les idées d’arrangements et de transformations sur la guitare électrique. J’ai beaucoup moins travaillé à la table. Et il n’y a pas un standard en particulier sur lequel je me suis fixé. Ce qui est sûr, c’est que le répertoire est amené à s’étoffer.

- Quelle est la recette de cette déconstruction  ?

Le processus n’est pas facile à décrire, car je suis un instinctif. J’ai du mal à la théoriser. Mais je connais le point de départ : l’envie. Il est arrivé qu’on me propose des sujets qui ne me stimulaient pas ; j’y ai renoncé. Un travail sur Giacinto Scelsi par exemple : j’ai retourné le matériel dans tous les sens sans en trouver la porte d’entrée. J’ai laissé tomber. Ce qui m’intéresse, c’est de réussir la synthèse entre ma propre musique et celle sur laquelle je travaille. Il faut que j’imagine la conversation instinctivement. J’écoute beaucoup, je m’imprègne et ça décante. Je me fais une liste et mon imagination travaille. Le répertoire se construit ainsi, en explorant les possibles. Je prends toujours l’image du Meccano (je n’ai rien contre les Lego non plus) : les pièces sont disposées sur la table, on en balance une partie, on en garde une autre et on remonte le modèle à peu près à l’identique mais sans les morceaux manquants et avec des pièces rapportées. Ça n’a pas la même allure mais on reconnaît la silhouette. Voilà le processus déconstructeur.

- Le point commun, n’est-ce pas aussi le chant  ?

C’est vrai, mais c’est involontaire. Pendant de nombreuses années, on peut même dire que ça ne m’intéressait pas du tout. Ça a débuté par la voix parlée, et puis il y a eu The Rest Is Silence avec Élise Caron, qui est un point de départ avec la voix chantée. Gesualdo Variations a été un tournant qui a achevé de me convaincre et m’a permis de remettre le nez dans la musique ancienne. Tout bien réfléchi, mes répertoires de ces dernières années ont tous la voix pour point commun. Mais le prochain n’entrera pas dans cette catégorie. Ce sera avec le Quatuor IXI, une envie que j’ai depuis des années. Je l’avais mis de côté, mais j’y reviens ; ce sera Back to Brubeck, une relecture de Dave Brubeck pour quatuor à cordes et guitare électrique. Je poursuis à ma manière mon retour au bercail jazzistique, avec une instrumentation tout sauf jazz, plutôt chambriste.

David Chevallier © Frank Bigotte

- Dans Standards et Avatars, vous n’utilisez que la guitare électrique, ni théorbe ni banjo. Pourquoi ce choix  ?

Ça faisait longtemps, très longtemps ! Il y a d’abord un aspect pratique  ; je voulais que ce soit un groupe souple. Facile à sonoriser, à diffuser, etc. Avec la guitare électrique seule, pas mal de problèmes disparaissent, notamment les changements d’instrument. Quand je passe de la guitare au théorbe, j’ai toujours un moment de latence et de perte d’automatismes. J’ai connu ça sur Sit Fast and Fear Not. Je voulais mettre en avant mon rôle de guitariste, être très à l’aise, ne pas diluer ma responsabilité dans plusieurs instruments. Revenir à quelque chose de plus sec.

- Était-ce aussi une façon de vous situer vis à vis des guitaristes de jazz qui vous ont marqué ?

Si c’est le cas, c’est totalement involontaire. Mes influences passées ont certainement ressurgi, mais je me suis interdit ce genre d’exercice pendant des années car je pensais ne pas avoir assez digéré mes influences guitaristiques, comme Metheny ou Abercrombie. A priori, Scofield n’en fait pas partie ; pourtant, il est présent dans ce disque, même si je ne m’en suis pas beaucoup nourri.

- Comment s’est passé cet apprentissage du théorbe ?

A partir du moment où je me suis intéressé à la musique ancienne, j’ai découvert des musiciens incroyables, notamment des théorbistes. J’ai trouvé l’instrument très beau, et pour moi qui ai toujours eu une propension à aller vers les graves, de la guitare sept cordes à la guitare classique accordée une sixte plus bas, le théorbe remplissait ces rôles. Je me suis jeté à l’eau. Un luthier rouennais m’en a construit un et je l’ai utilisé pour la première fois avec le trio Emotional Landscape, autour du répertoire de Björk. L’apprentissage est encore en cours.

- Pouvez-vous nous parler de cette rencontre entre Björk et la musique ancienne ?

Elle découle d’une carte blanche à la chanteuse Anne Magouët au festival des Heures d’Été à Nantes. Cette idée est sorti d’une case de mon subconscient... Je ne suis pas un inconditionnel de Björk à proprement parler, mais j’aime sa personnalité artistique, son univers fort et personnel. L’idée était de confronter le monde de la musique baroque, dans lequel évolue Anne, et les chansons de l’Islandaise. On a créé le programme en trio avec une violiste nantaise, Marion Middenway et puis ça m’a tellement plu que j’ai décidé récemment d’y adjoindre des cuivres anciens. C’est là aussi une vieille envie née de la découverte des sacqueboutes, des cornets, des serpents... Ça répondait en partie à la problématique rythmique chère aux chansons de Björk. C’est pour cela que j’ai également convié Keyvan Chemirani, percussionniste qui, avec le zarb ou le daf, s’amalgame parfaitement à l’instrumentarium baroque.

David Chevallier © Franpi Barriaux

- Cette approche de Björk, comme celle de Gesualdo ou des standards, s’envisage-t-elle morceau par morceau, ou plus globalement  ?

Dans la déconstruction de telle ou telle musique, ce n’est pas le morceau lui-même qui m’intéresse, au fond, mais la façon de faire. J’ai débuté ainsi avec Gesualdo. J’essaie d’aller au fond de cette démarche, et peut être qu’un jour je m’en lasserai et que je ferai tout autre chose. Certains commencent à me reprocher de ne proposer que des relectures - on aimerait que je joue des compositions plus personnelles ; c’est un reproche que j’entends parfaitement Mais c’est raté pour 2015 ! Toutefois, je n’exclus pas de m’orienter vers ces chemins-là, car je ne veux pas me retrouver prisonnier d’une étiquette. On ne peut pas me reprocher de me complaire dans un style, mais je veux pas non plus de l’étiquette « relecture ». J’exprime pleinement ma personnalité musicale dans ces projets hybrides, mais je ne veux pas me limiter à ça.

- Ça peut passer aussi par des collaborations en tant que sideman ?

C’est le cas dans le trio Magique avec Denis Charolles et Maggie Nicols. On invente sur le tas la façon jouer les morceaux. Ce trio ancien me tient à cœur. Je suis aussi dans Stringed, très beau trio « jazz » avec Alban Darche, que je connais depuis longtemps. Ça fonctionne très bien. Ça pourrait me donner des idées… J’ai aussi été contacté par Yves Rousseau et Christophe Marguet qui montent un quintet avec Fabrice Martinez et Bruno Ruder. Ce sera pour novembre. 2015 va être chargée  !