Chronique

Rempis/McPhee/Reid/Lopez/Nilssen-Love

Of Things Beyond Thule Vol.2

Dave Rempis (as), Joe McPhee (tp,ts), Brandon Lopez (b), Tomeka Reid (cello), Paal Nilssen-Love (dms)

Label / Distribution : Aerophonic

Jamais second round ne fut aussi rapide [1], et au-delà du plaisir que l’on a de retrouver l’équipage de Thulé quelques semaines [2] après un premier voyage fructueux, cela interroge sur les nouveaux formats. Il y a bien des années, le prestigieux label Aerophonic aurait sorti un double album, fruit d’une rencontre live de Joe McPhee, Tomeka Reid, Dave Rempis, Brandon Lopez et Paal Nilssen-Love. Mais aujourd’hui, avec BandCamp, les deux enregistrements sont dissociés. C’est logique, finalement, puisqu’ils sont assez différents ; le volume deux pénètre un peu plus dans l’intimité de l’orchestre, s’offre davantage de pistes. Le premier temps était celui de la symétrie (deux faces, une conception très égalitaire), le suivant est celui qui renverse la table. Dans le pétulant « Oisel », c’est la relation entre le violoncelle de Reid, libre de tous ses mouvements, et de la contrebasse de Lopez qui est le centre névralgique.
 
Le nœud de toutes les intrigues, pourrait-on préciser. Une corde qui va tenir bon malgré les soubresauts, et que Tomeka Reid saisit à pleine poigne pour la faire vibrer. Il permet aux soufflants de se mesurer avec une gourmandise rare. Ajoutez à cela une forme exceptionnelle de Joe McPhee, fiévreux agitateur, et ce second volet devient tout bonnement tellurique. Ainsi « Simola » est une descente à tombeau ouvert dans les tréfonds de Thulé, avec la sensation que la terre craque et se déchire sous nos pieds. Même la batterie de Nilssen-Love ne parvient pas à ordonnancer le chaos. Il y met pourtant tout son cœur : le jeu puissant de Rempis, dru et droit, est secoué de toutes parts, et il lui faut élever le ton pour reprendre le contrôle, avec une virulence qui ébranle tout l’orchestre. Il n’y a pas de rapport de domination, encore moins de force. Le disque est nerveux car il concentre l’envie de tous ces improvisateurs. Il réagit comme une impulsion. Il sur-réagit parfois pour notre grand plaisir.
 
Heureux les sociétaires du Hungry Brain de Chicago qui étaient au milieu de ce joyeux pugilat en cette soirée de décembre 18. Le grain qui chauffe n’est pas passager, il est sporadique mais marque durablement ce concert. Chacun est survolté et ajoute sa pierre pour dézinguer l’édifice : Of Things Beyond Thulé Vol.1 était l’incarnation de l’équilibre, sa suite directe est le chantre du chaos, quand bien même celui-ci sait s’organiser (« Hekla »). Ce sont les deux facettes d’un même miroir, parfaitement indissociables et qui révèlent, presque en catimini, un quintet fabuleux, fruit du calendrier et du hasard. Ce groupe n’aurait pas existé si les aiguillages et le sort ne les avaient mis fortuitement le même soir à Chicago. Il faut espérer que cet événement se reproduira à l’avenir car nous tenons là un line-up complet et complexe. De ceux qu’on écoute toujours dix ans plus tard en se confortant dans l’idée qu’il s’est passé quelque chose de rare. Étourdissant de cohérence, malgré la petite nostalgie du double que génère la parution en épisodes.

par Franpi Barriaux // Publié le 4 octobre 2020
P.-S. :

[1ou alors, cherchez du côté de chez Mike Tyson !

[2le V1 date de février, le V2 de mai…