Chronique

Anne Mette Iversen

Ternion Quartet

Anne Mette Iversen (b), Silke Eberhard (as), Geoffroy de Masure (tb), Roland Schneider (dms)

Berlin est tellement devenu un point de rencontre de toutes les musiques et les musiciens d’avant-garde que même les exilés européens à New York s’y retrouvent pour créer, se confronter et finalement enregistrer. C’est l’histoire de ce Ternion Quartet, à qui l’on serait bien en peine de donner un passeport. La contrebassiste Anne Mette Iversen est à l’origine de cette rencontre. La Danoise, qui a par ailleurs un quartet américain avec la jeune garde étasunienne comme le saxophoniste John Ellis, est ici accompagnée par un vieux compagnon de rythmique croisé dans les clubs de la côte Est, l’Allemand Roland Schneider. Tous les deux, il tressent une trame dense et pourtant extrêmement flexible pour accueillir une impressionnante doublette de soufflants parmi les plus précis du continent ; la saxophoniste Silke Eberhard se retrouve à l’alto dans son style si percutant, pendant que le tromboniste Geoffroy de Masure, qu’on est heureux d’entendre dans cette configuration, apporte cette imperturbable élégance.

« Eburnine » en est le symbole. La précision millimétrique de la coulisse, qui semble danser sur les cymbales de Schneider, est un jeu de construction habile mais en perpétuel chamboulement, tant il se heurte aux phrases souvent belliqueuses de l’altiste. Ce qui pourrait semer le chaos se révèle en réalité plus proche de la voltige. D’abord parce que de « Postlodium #2 » à « A Cygnet’s Eunoia », les instants plus doux sont légion, où les deux lames marchent du même pas plutôt que de ferrailler. C’est l’œuvre de la contrebassiste, dont le son rond sait maintenir une démarche très collective, notamment en s’appuyant sur le trombone lorsqu’il explore les basses éloignées de son instrument (« Ataraxia on my Mind », sans doute la pièce maîtresse de ce premier disque), ou en laissant de Masure et Eberhard jouer à fleuret moucheté.

Ces alliances de circonstance sont indubitablement le moteur de ce quartet. Les interventions de la saxophoniste rappellent qu’elle est experte de Dolphy, notamment sur les quelques miniatures proposées (« Their Revised Head »), mais jamais elle ne se laisse enfermer dans une quelconque caricature. Le Ternion est sanguin et très joueur, bien servi par les compositions émaciées d’Iversen, musicienne assez peu connue dans l’Hexagone, mais qui mérite une vraie mise en lumière.

par Franpi Barriaux // Publié le 21 janvier 2018
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