Chronique

Harris Eisenstadt

Golden State

Nicole Mitchell (fl), Sara Schoenbeck (bsn), Mark Dresser (b), Harris Eisenstadt (dms)

Label / Distribution : Songlines

Le batteur canadien Harris Eisenstadt dirige depuis quinze ans plusieurs orchestres de front, avec le souci de la durée et de l’invention bien plus que du maintien d’une entité composée de musiciens immuables. Ainsi, l’ambitieux Canada Day, lancé en 2009 sur le label Clean Feed, compte déjà trois volets et autant de figures de l’improvisation mondiale : Eivind Opsvik, Nate Wooley et, dans le quatrième acte à sortir en septembre, le contrebassiste français Pascal Niggenkemper.

Compositeur soucieux des timbres et imprégné de musique écrite occidentale contemporaine, il montre un fort lignage braxtonnien, ne serait-ce que dans le choix de ses partenaires : Dan Peck, Taylor Ho Bynum… Ou sur ce Golden State (sorti en 2013 chez Songlines) un quartet en forme de dream team en compagnie de la flûtiste Nicole Mitchell, du contrebassiste Mark Dresser et de la bassoniste Sara Schoenbeck. Une suite logique pour ce batteur très mélodique qui enregistra son premier album en leader avec Wadada Leo Smith en invité (Last Minute of Play in This Period).

Le basson est au centre des compositions très contrapuntiques d’Eisenstadt. Le choix est osé, mais il s’avère d’une efficacité redoutable tant le talent de Schoenbeck est éclatant dès « What A Straw Horse, Anyways », surtout lorsqu’il s’agit de s’associer à la flûte ; il le sera aussi sur Golden State II qui, sorti il y a quelques mois, continue à illustrer la résidence du Canadien au CalArts de Los Angeles (le saxophone de Michael Moore s’y substitue à Mitchell). Les deux femmes, qui se sont croisées dans le fameux 12 + 1tet de Braxton, jouent à merveille de leur complémentarité et se lancent avec gourmandise dans des discussions apaisées, voire chambristes, qui peuvent s’affoler en un instant si la base rythmique décide de reprendre la main (« Unless All The Evidence is In »). Eisenstadt détermine aux prémices de chaque morceau une couleur, une tension, et laisse les membres du groupe se combiner, s’opposer, se répondre. Cela se traduit par des batailles pleine de raucité entre Dresser et Schoenbeck (« Dogmatic in Any Case »), laquelle impose son instrument, atypique dans le jazz, comme une évidence. Ce compositeur et ses amis méritent toute notre attention.