Chronique

François Poitou

Le Sec et la Lune

François Poitou (b, comp), Bastien Ribot (vln), Aude-Marie Duperret (alto), Maxime Berton (clb, ss), Federico Casagrande (g) + Emel Mathlouti (voc).

Label / Distribution : Yovo Music

Cet album est – osons l’avouer – une découverte pour l’auteur de ces lignes, même si son artisan n’est pas un débutant. Une première rencontre, donc, avec un musicien qui avait publié en 2017 Funambule, disque ayant reçu au moment de sa sortie un accueil très positif. Notre camarade Julien Aunos n’avait d’ailleurs pas manqué de souligner dans sa chronique « l’élégance folle » de sa musique. Contrebassiste et compositeur, François Poitou propose aujourd’hui Le Sec et la Lune, un titre qui serait à rapprocher d’un souvenir d’une sortie sous-marine. À la fin d’une plongée sur un « sec » [1], le contrebassiste a sorti la tête de l’eau et vu la lune. « Cette image ressentie à la surface, avec le bercement des vagues, en sortant d’un monde calme et silencieux pour en rejoindre un autre (le bateau, la vie terrestre…), m’a donné le titre d’une composition et de l’album ». Une image qui explique en effet pour quelle raison la musique de François Poitou est à ce point porteuse de sérénité et de fluidité, aussi bien dans son écriture que dans une interprétation empreinte de beaucoup de délicatesse, élaborant un univers intime dont les oscillations évoquent celles de l’eau. Le disque, dans son entièreté, est une invitation à s’immerger au cœur d’un monde onirique. Le rêve, oui, revendiqué par Poitou lui-même : « Jusqu’à présent, à chaque occasion que nous avons eue de jouer en public, notre objectif a été d’amener les gens à rêver ».

Le contrebassiste a élaboré un langage musical dont la coloration résulte d’un brassage subtil, entre jazz et une musique de chambre dont les accents seraient parfois sériels, une fusion harmonieuse qu’on imaginerait volontiers musique de film, par la dimension cinétique des compositions et leurs mouvements de flux et de reflux, toutes signées François Poitou. Et si l’on voulait filer encore la métaphore aqueuse, on soulignerait qu’autour de la contrebasse, il pleut des cordes ! Ce sont celles de la guitare de Federico Casagrande, du violon de Bastien Ribot, de l’alto d’Aude-Marie Duperret. Seule la clarinette basse et le saxophone soprano de Maxime Berton échappent à cette famille, dont font aussi partie les cordes… vocales celles-là, d’Emel Mathlouti, qui fut l’une des égéries de la révolution tunisienne de 2011. La chanteuse est en effet présente sur une composition de l’album, « Layem ». Autant dire que la matière sonore est ici d’une infinie souplesse.

Beaucoup de cordes donc, pour une équipe presque reconduite à l’identique [2] et une musique imaginée par celui qui fut d’abord ingénieur de physique du solide avant de devenir pleinement musicien. Cette discipline contraste – au moins pour les béotiens que nous sommes en ce domaine et qui imaginons une certaine austérité – avec la grâce et la sensation de flottement qui émanent du disque. Il s’agit bien de cette rêverie évoquée par François Poitou, tant il est vrai qu’à l’écoute de Le Sec et la Lune, on ressent très vite le besoin de fermer les yeux pour se laisser bercer par ses mélodies nocturnes. On est de plus impressionné par la capacité du contrebassiste à concilier exigence d’écriture – son travail est d’une remarquable précision – et l’idée de légèreté, de musique limpide. Le monde musical de François Poitou est celui de la retenue, il y a chez lui un art de la suspension qui est l’agent actif du lyrisme qui habite ce disque de sa première à sa dernière note. Surtout, sa musique semble n’être portée par aucune mode, aucun besoin d’accélérer le cours du temps et d’imaginer les contours du futur. Elle se veut, comme le dit la composition qui ouvre le disque, une proposition pour « Hier, aujourd’hui et demain ».

par Denis Desassis // Publié le 19 mai 2019
P.-S. :

[1Les amateurs de plongée n’ignorent pas qu’un sec est un récif immergé.

[2Seul le violon de Saúl Crespo Saldaña, présent sur Funambule, n’est pas de la fête cette fois.